Aménagement : l’horreur dans la ville algérienne
"La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des mortels." Charles Baudelaire
La situation actuelle dans la capitale et dans les grandes villes, comme Oran, Mostaganem, Sidi Bellabès, Tlemcen, à l’ouest, Sétif, Constantine, Guelma, Annaba, à l’est, Tizi Ouzou, Blida, Boumerdès, dans le centre, et même vers le sud par exemple à Biskra, Boussâada, Aflou, elle est carrément asphyxiante. A titre indicatif, hors des heures de pointe, pour descendre de Bouzaréah sur Alger-centre, à peine 5 bornes, en bus ou en véhicule particulier, il faut compter un minimum d’une heure trente. Alors qu’il y a une vingtaine d’années on mettait au maximum, dans les moments de grande tension, moins d’une demi-heure. On ne se réveillait pas le matin à cinq heures pour arriver au boulot à huit heures.
Qu’est-ce qui s’est donc passé dans la tête de tous les dirigeants algériens depuis l’Indépendance pour qu’en l’espace de deux générations, les mouvements dans les villes deviennent des plus problématiques, à la limite de l’horrible ?
Selon des estimations sérieuses, saisissant comme étalon moyen le quartier dans une moyenne agglomération urbaine, l’observation est horrible. Par quartier on comprend des groupes d’habitations, des locaux commerciaux, quelques institutions administratives, des enceintes d’apprentissages, des structures de détente et de loisirs, parfois un dispensaire, un commissariat de police ou un poste de sapeurs pompiers et bien entendu des voies de passage vers les différents endroits du quartier et une population régulière pour le faire vivre - à mettre de côté les quartiers des centres urbains "tracteurs" où ses résidents ne sont visibles que vers la soirée lorsque tous les visiteurs sont rentrés chez eux. Dans le même espace bâti – mis à part des bricoles sur des aménagements intérieurs, domestiques ou commerciaux – l’occupation humaine a doublé et l’occupation matérielle, quadruplé, en une génération seulement.
A l’entame des années 90, pour un même quartier urbain, trente pour cent à peu près des familles résidentes possédaient un véhicule, aujourd’hui quasiment toutes les familles en possèdent et souvent en nombre. A quoi il faut ajouter les travailleurs salariés et les commerçants dans le quartier qui, maintenant, en disposent, et pour être pointilleux, on peut signaler les visiteurs de courtoisie ou d’affaires qui se ramènent aussi en voiture.
Seulement dans ce concert d’espace social où des générations se greffent – attention ! et des mentalités aussi - eh bien, pas un centimètre carré de chaussée, de trottoir ou d’aire de stationnement n’a été édifié. Parfois c’est le contraire qui se passe, ce sont carrément de multiples bouts de périmètre commun qui sont grignotés par les particuliers, pour leur confort ou pour leur business. Mais à travers cette structure ankylosante du quartier type algérien, il se produit une espèce de phénomène qu’on peut comparer à celui des vases communicants et qui consiste à faire s’imbriquer la circulation du matériel véhiculaire "inter quartiers" en accablant l’existence dans l’environnement. Il suffit, par exemple, d’un garage automobile, d’un institut de beauté ayant une bonne réputation, d’un bon soigneur de prostate, d’un brave marchand de "lait de vache" ou d’un boulanger qui emmerde le rotatif, eh bien, mine de rien, le quartier vous devient de plus en plus infernal, surtout s’il s’y faufile un revendeur de vins et liqueurs clandestin, tandis que les dealers possèdent leurs clients véhiculés attitrés.
La solution ? Le travail productif dans l’esprit de l’Etat étant depuis longtemps banni des paradigmes de l’intelligence smig, où la malédiction des six heures de temps intermédiaire est devenue un acquit de la vie courante, les gouvernements qui défilent ne semblent absolument pas se soucier du devenir urbain de la nation, au rythme de la surdensification des agglomérations dans les grandes villes et particulièrement dans la capitale. L’état des lieux hic et nunc est que, par tous les diables, personnes ne peut être à l’heure à Alger. Depuis au moins une dizaine d’années, jamais un Conseil des ministres ou de Gouvernement ne commence à l’heure indiquée dans le planning. Les timings au niveau des staffs, les grands et les petits, sont une simple vue de l’esprit ou un jargon bluffeur. Ainsi décideurs et exécutants se complaisent dans l’irrésolution perpétuelle du commencement et de la fin. Parce qu’il s’y est installé cette mentalité fatale du temps, de la durée, qui écrase et annihile les estimes de soi ; le "koul âtla fiha khir" semble être nourrie et cultivée dans le cerveau reptilien algérien habitué au joug colonial qui décide de la vie et de la mort. Ça semble aussi vouloir dire que cinquante ans de "liberté", d’"indépendance", d’"autonomie" par rapport à des siècles d’asservissement, c’est en quelque sorte, malgré l’héritage du sous-sol saharien, un avis d’impuissance devant la fabrications des lendemains du meilleurs possible.
L’Algérie laissée par la France dans les villes, leurs banlieues et leurs faubourgs, reste globalement la même sur le plan de la structure coloniale, ce sont quasiment les mêmes rues, boulevards et passages intermédiaires, sur les périmètres desquels n’importe quel « remplissage » est admis jusqu’à l’entassement le plus sordide ; depuis l’Indépendance, jamais un ministre de l’Urbanisme, par exemple, n’a pris son rôle en charge en se disant qu’il faille raser tout un pâté par-ci, démolir entièrement une vieille cité par-là, avec dans la tête de penser une extension intelligente faisant agrandir la ville dans les bonnes mesures et l’harmonie. Touts les cités bâties depuis, elles ont été réalisées à quelques pas des agglomérations coloniales de façon à ce que le « nouveau » et l’ « ancien » s’entremêlent, en hommes et en matériels, dans le désordre le plus incongru et le plus violent. On s’étonne aujourd’hui pourquoi les villes algériennes sont parmi les plus crados du monde, pourquoi l’eau de l’égout nauséabond longe le caniveau de grandes institutions publiques, le rat fait bon ménage avec le chat de gouttière dans les quartiers huppés de la capitale – des rongeurs à la pelle sont régulièrement écrasés sur les chaussées - et en même temps un ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales donne l’ordre de ravaler les façades pour faire joli.
Mais, enfin, au lieu de voir sérieusement comment réfléchir pour sortir les Algériens de cet enfer-là – parce que c’est la majorité des citoyens qui supporte ce calvaire de l’agglomération urbaine – des décideurs, dont le chef de l’Etat en personne, ont résolument donné le dos à la ville, dans une espèce de folie gratuite, pour injecter purement et simplement tout un PNB, assez important pour le compte d’un pays dit "émergeant",dans la construction d’une autoroute qui, certes, fait arriver plus vite d’une ville à l’autre, mais ensuite, jusqu’où la fuite, ou comme on dit dans le beau langage de l’arabisation, aïna el maffar ?
Nadir Bacha
Commentaires (5) | Réagir ?
merci
Si on veut savoir pourquoi nos grandes villes sont envahies, il faut reconnaitre que les décideurs au pouvoir eux memes issus du douar n'ont jamais rien fait pour le douar, ils ont au contraire encouragé l'exode rural au grand dam des citadins qui ont fini par etre envahis par des millions d'individus à la culture différente ou tout simplement sans culture à l'exception du tube digestif. il n'existe plus d'heure de pointe dans les grandes villes pour la simple raison que personne ne travaille et donne l'impression d'etre des rentiers au volant de grandes voitures neuves comme s'ils avaient découvert l'el dorado, Après avoir tout partagé, l'oxygéne, les logements, le peu de travail existant, et enfermés dans des chaines pour toute activité au quotidien les citadins devront se résoudre à quitter leur ville comme beaucoup l'ont déja fait pour ne pas perdre leur ame et régrésser dans leur culture et vie sociale.