Le Matin 22-10-2017 351961
Dans sa lettre du 21 octobre, le président Abdelaziz Bouteflika énonce plusieurs demi-vérités et assimile les médias de communication à des organismes de propagandes qui devraient dire sa vérité.
Il n’y a rien de bien glorieux dans la lettre qu’a rendue publique le président Abdelaziz Bouteflika à l’occasion de la célébration de la journée nationale de la presse, le 22 octobre. Ce texte qui tente de faire croire que l’Algérie est une démocratie véritable est rempli de contradictions et de demi-vérités. Un des exemples de cela est le passage ou il exhorte la presse algérienne à œuvrer "à la promotion de l’image de l’Algérie à travers le monde". Il contredit le début de son texte ou il affirme que "les journalistes devaient rester au service d’une noble mission, celle du journaliste soucieux de rendre compte des faits en toute objectivité et intégrité et de défendre l’éthique de la profession". Il est difficile de faire la promotion de l’image de l’Algérie à travers le monde en décrivant objectivement les gestes du gouvernement actuellement au pouvoir. Ce dernier avoue lui-même être en état de faillite technique et utilise cette excuse pour faire rouler la planche à billets afin de payer ses employés. Quand Abdelaziz Bouteflika affirme "nous sommes tous confrontés aux difficultés financières et économiques de la conjoncture", il ne dit pas non plus qu’il a une responsabilité non négligeable dans de cette situation. S’il avait réussi à diversifier l’économie algérienne comme il l’a promis pendant tous ses mandats, le pays serait beaucoup mieux positionné économiquement que c’est actuellement le cas.
Comment faire la promotion de la démocratie algérienne quand le président de la Haute instance indépendante de surveillance des élections (HIISE), Abdelouahab Derbal, doute publiquement de la régularité des scrutins en Algérie? Il vient d’admettre qu’il n’existait aucune « garantie légale » du bon déroulement des opérations électorales et que l’administration a annulé des candidatures sans argument juridique. Les partis ont donc vu certains de leurs candidats être rejetés sur une base politique, ce qui est l’antithèse de la démocratie. Quand Bouteflika affirme dans son texte que la démocratie « est aujourd’hui, la préoccupation de notre peuple », il oublie de dire que son style de gestion autocratique est actuellement le pire ennemi de l’accès de ses citoyens à cette démocratie.
Bouteflika énonce une autre demi-vérité quand il affirme que la démocratie "est un projet de vie et de gouvernance et une aspiration à un avenir où règne la complémentarité entre les différents systèmes d’une société fondée sous la garantie des libertés consacrées par les lois de l’univers et les chartes internationales et réconciliées avec elle-même pour s’affranchir, aussi bien individuellement que collectivement, du sous-développement, et bâtir un État moderne et authentique, attaché à sa souveraineté politique et économique et ingénieux dans la gestion de ses rapports stratégiques avec les autres pour préserver ses acquis, sa sécurité et sa stabilité.". Cette phrase à la Proust mélange des attributs réels de la démocratie comme la garantie des libertés a d’autre de régimes autoritaires comme le sien, soit la préservation de la stabilité du gouvernement. Dans d’autres pays où la presse est plus libre qu’en l’Algérie, les journalistes publient régulièrement des faits qui font tomber des politiciens, changer des gouvernements et mourir des partis politiques.
Il faut d’ailleurs se demander quelle est la valeur réelle de la presse étatique actuelle en Algérie. La semaine même ou un organisme de renom international publiait une étude qui classait l’Algérie au 156 rang sur 159 pays au niveau de sa liberté économique, elle publiait sans aucune contrepartie critique que l’UGTA le FCE et d’autres organisations patronales publiques et privées avaient exprimé " leur soutien, leur attachement indéfectible et leur fidélité", au chef de l’État.
Dans son rapport de 322 pages sur la liberté économique dans le monde en 2017 qui a été rendue publique il y a quelques jours, l’institut Frazer met pourtant l’Algérie en queue de pelotons à deux places seulement du Venezuela. L’analyse très détaillée compare 42 points reconnus comme étant garants de la liberté économique. Le portrait de l’Algérie, qui est en page 31 du document, montre que son rang dans cette échelle est passé de 91 en 1980 à 156 en 2017, c’est à dire pendant tout le mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Comment concilier ce portrait calamiteux de la liberté économique avec les propos élogieux du chef de l’État rapporté par la presse officielle comme provenant du milieu des affaires algérien? La meilleure manière de le faire semble de remplacer le mot "presse" dans le texte officiel publié le 21 octobre au nom d’Abdelaziz Bouteflika par le mot "propagande".
Michel Gourd