Le Matin 18-10-2017 286117
C’est se leurrer que de continuer de croire qu’un petit bonus d’entrée ou une taxe superficiaire qui varie en fonction des zones et des périodes de recherche à moins de 40 à 160 dollars le km² et encore moins la taxe sur les revenus pétroliers qui permet à l’investisseur de souffler comme il veut pour gonfler ses dépenses et diminuer ainsi la base de son calcul, décourageraient les capitaux dans le domaine de l’amont pétrolier pour au moins deux raisons.
La première revient à l’envergure des sociétés qui viennent. Ce ne sont pas des PME mais très souvent ramifiées aux multinationales dotés d’une assise financière appréciable et d’une expérience avérée dans la prospection, la recherche, l’exploitation, le transport et la commercialisation des hydrocarbures. La deuxième est sans aucun doute l’avantage d’un risque géologique qui leur est très favorable : une probabilité de succès de 0,55 contre une moyenne mondiale qui se situe à moins de 0,2. Par contre la bureaucratie non seulement les "irrite" mais aussi alourdit leur coûts de transaction de départ souvent pour un résultat nul. Cette configuration du climat des affaires arrange les Italiens par exemple, les affaires de corruption qui ont touché les sociétés de ce pays ces dernières années sont édifiants.
Les Chinois s’adaptent et la présence de près 40 000 Chinois en sont une preuve irréfutable, viennent dans une moindre mesure les autres pays avec à leur tête la France qui connait très bien le rouage des affaires en Algérie par avoir fréquenté les Algériens depuis une longue durée. Les autres pays à tendance anglo-saxonne en général et les Américains en particulier n’ont pas cette patience car ces pays évaluent le temps en argent.
C’est malheureusement eux qui investissent beaucoup dans le pétrole et le gaz. Avant de quitter le pays, l’ancienne ambassadrice des Etats-Unis, Mme Joan A. Polaschik avait accordé une interview au journal Liberté. Elle avait déclaré que la bureaucratie reste très lourde en Algérie. C’est difficile d’enregistrer une société en Algérie. Le système bancaire est compliqué.
Les entreprises américaines constatent des limitations dans le libre-échange notamment commercial et pour le transfert des bénéfices des sociétés américaines implantées en Algérie, le fait que le dinar ne soit pas convertible constitue une difficulté pour ces investisseurs. En ce qui concerne la règle 51/49, elle cite l’exemple de Général Electric qui semble à l’aise car elle ramène un savoir faire et détient le pouvoir par sa compétence qui ne gêne en rien qui d’elle ou de Sonelgaz détienne dans l’association des parts majoritaires. Par contre, les autres sociétés notamment de taille de PME viennent en Algérie seules ou en consortium pour mettre sur le tapis une mise risquée et d’insinuer indirectement que les obliger à s’associer avec une organisation qui fait un pas en avant et trois en arrière les dérangent beaucoup. Il se trouve justement que la bureaucratie et ceci est de l’avis aussi bien des investisseurs résidents que ceux qui ne le sont pas, n’est pas spécifique aux hydrocarbures mais touchent tous les secteurs de l’économie nationale.
C’est désormais un sport national. La bureaucratie se développe en créant dans le rouage de gestion des niches de corruption qui sont devenues avec le temps le ciment d’un ordre établi où chacun trouve son compte. Il est le résultat d’un noyautage des institutions de l’Etat à travers le recrutement familial et celui de copinage. Aujourd’hui, si un responsable touche à ce dossier pour tenter de remédier à la situation, tout le monde se sentent touché et lui tombe dessus. Si on déclare la guerre à un fléau social comme compte le faire Monsieur Guitouni, c’est que les règles et les lois qui régissent ce fléau ne sont plus valides et insuffisantes. On est donc contraint de les outrepasser. En général, la guerre gèle les procédures ordinaires pour passer à la casse.
Un des critères majeurs pour qu’un général mène un tel combat : il faut qu’il soit lui-même blanc comme neige, ne traîne pas des casseroles et surtout n’a aucun caillou dans le soulier qui entrave sa démarche.
Les exemples ne manquent pas. Abdelmalek Sellal a tenté de s’attaquer aux dysfonctionnements, dès sa prise de fonction de premier ministre le 03 septembre 2012. Il a échoué dans les dossiers de rajeunissement du secteur public, l’allégement des procédures bancaires, la dissolution des calpiref pour redynamiser les investissements par une répartition efficace du foncier, la réinsertion du secteur informel dans l’économie réelle et bien d’autres. Des efforts appréciables ont été faits au niveau des collectivités locales notamment l’état civil ; pour le reste aucune progression n’a été visiblement constatée mais le système l’a fait sortir par la petite porte comme corrompu lui-même à travers sa fille de 26 ans qui a acquis et avant son mariage avec un Libanais un joli appartement aux Champs Elysées.
Plus récemment, en été 2017, le plus dynamique des ministres qui a occupé plusieurs fonctions dont deux ministères à la fois, promu Premier ministre, s’est attaqué à la fuite des capitaux par des résidents se retrouve aujourd’hui persona non grata. Certaines sources journalistiques le déclarent mis en examen, d’autres carrément aux arrêts.
Rabah Reghis, Consultant économiste pétrolier