Le Matin 22-09-2017 47320
En ces temps d’attentats terroristes, de restrictions des libertés publiques, de parodies de justice, de plagiats et de faussaires dans la société, il ne s’agit malheureusement pas ici d’une nouvelle performance qui honorerait notre pays.
Nous savons tous que l’Algérie avait mal démarré en 1962 : par le putsch menée par l’armée de l’extérieur ou le groupe d’Oujda, l’imposition d’un parti unique, l’adoption d’une constitution dans un cinéma d’Alger, la nomination de fait par des "élections" à candidat unique de la première assemblée constituante en septembre 1962.
Deux ans après cette assemblée nationale, le 19 juin 1965, surviendra le coup d’État de Houari Boumediène, alors ministre de la Défense nationale, contre le président Ben Bella. Coup d’État qualifié alors de "redressement révolutionnaire".
Ce coup d’État suspendit immédiatement toute vie parlementaire ; c’était le début du pouvoir absolu du "Conseil de la Révolution" et le règne de la Sécurité militaire (le sigle "SM" qui faisait trembler les citoyens).
Le pouvoir entreprit aussitôt de neutraliser toute velléité d’opposition par des accords avec la rébellion du FFS puis l’exil de ses dirigeants, la nomination des officiers de l’ALN de l’intérieur à des postes de direction dans les entreprises d’État, l’attribution de financements colossaux à des officiers supérieurs pour investir dans des commerces, des usines, des stations-services… et le maintien des salaires des députés de l’assemblée nationale "élue" en 1963. Cela dura donc pour ces députés jusqu’à l’élection de l’assemblée populaire nationale de mars 1977.
L’Algérie aura donc réalisé la performance de la législature la plus longue de l’histoire : 14 années de mandat, sans travaux (bien évidemment par la faute des dictateurs dont certains sont encore au sommet de l’État et non des députés), mais avec le maintien du versement des salaires aux députés et le silence complice de ces derniers.
Cette performance de 14 années de législature fantôme mériterait donc de figurer au Guinness des records !
J’avais appris l’existence de ces "députés silencieux" un jour de 1970, j’étais élève dans un lycée d’Alger. C’était un camarade de classe qui venait d’arriver d’un lycée d’une autre ville du pays, qui me l’apprit : "Mon père est toujours député de l’assemblée nationale. Il perçoit toujours son salaire. Il vient d’obtenir l’attribution d’un grand magasin au centre d’Alger, au boulevard xxx, pour faire du commerce et nous sommes donc venus habiter Alger’".
C’était pour moi une nouvelle très déroutante, révélée dans une période noire de la dictature Boumédiène sous laquelle nous vivions tous les jours.
Il y a eu certainement dans cette période des hommes d’honneur qui n’ont pas été corrompus par le pouvoir politique et qui ont refusé leur rétribution, par respect pour leur pays.
C’est tout à leur honneur de nous le faire savoir aujourd’hui afin de montrer aux jeunes députés non corrompus de la République, et à tous les élus du peuple, qu’il y a d’autres voies que l’achat des mandats, l’affairisme, les passe-droits et… le déshonneur.
Aumer U Lamara, écrivain
Notes :
Assemblée constituante de septembre 1962 à août 1963 : Président Ferhat Abbas
Assemblée nationale d'août 1963 au 19 juin 1965 : Président Hadj Mohamed Benalla
Assemblée populaire nationale de mars 1977 à octobre 1990 : Président Rabah Bitat