Le Matin 16-07-2017 33858
Peut-on porter son témoignage en mémoire à un ami, avec lequel on a partagé des moments les plus significatifs et des plus instructifs de sa vie. Très difficile de l’avouer.
Avec Boubakeur, comme il aimait que l’on le lui inscrive, et non Boubaker, un prénom qui "rappelle trop le religieux et la soumission", aime-t-il à me le souligner au fond de son petit et simple kiosque à tabac familial, de la rue Abdelkader Benamiour, du très populeux quartier de La Colonne (Annaba).
Peut-on être redevable à ce génie de la création théâtrale. Il fallait le voir à l’œuvre pour y croire, lorsque l’on évoque ses lectures, ses livres qui emplissaient sa demeure parentale, jusque dans la petite salle de bain où il avait aménagé un petit espace de lecture "pendant les instants propices de la découverte de soi", me disait-il. Deux ou trois cartons étaient là pour faire face à l’étroitesse des lieux. Des livres partout, jusqu’à sa chambre à coucher, sous le lit des cartons et des valises a craqués.
La lecture était une possession pour lui, il fut l’un des rares Annabi à le voir promener ses magazines, sa presse quotidienne et un ou deux livres, sur le Cours de la Révolution ou retrancher dans un parc public de la ville Donatiste. Il ne portait pas Saint-Augustin dans son cœur, lui fin lecteur de l’Histoire.
En 1979, un ami d’enfance M. Nedjameddine Zerrouk, habitant pas si loin du domicile familial de Bob, m’orienta vers lui et me suggéra d’entamer la pratique théâtrale, vue que j’avais une attirance et un penchant pour cet art que je considérait (je le considère toujours) comme le seul art engagé socialement et politiquement.
Bob était animateur d’Art dramatique à la Maison des Jeunes boulevard Saouli-Abdelkader, où il animait un atelier de théâtre à la salle de la Bibliothèque, transformait pour l’occasion à partir de 17h. C’est avec lui que j’ai appris l’abécédaire de l’art dramatique, de même que l’esprit critique en art de la scène (comme lire une pièce et décrypter une représentation). Comment pourrai-je oublier que c’est lui qui m'a fait connaître Mohamed Boudia à travers une revue palestinienne qui gisait sur un rayon de la Bibliothèque de la MJS. Il m’avait dit :"prend-la avec toi. Cache-la bien en sortant et lie la une fois à la maison".
La revue en question était Al-Haddar, organe du FPLP et pour cette « note » de vigilance, j’apprenais plus tard que les activités de Makhoukh étaient visiblement surveillé par les sbires de Lakehal Ayat (patron de la SM), grâce à une annexe installée non loin de la MJS, dans un immeuble administratif. "Ils aiment le théâtre puisqu’ils en font quotidiennement des jeux de scènes", me dira-t-il un jour.
Boubakeur Makhoukh était un maître dans l’instruction dramatique. Il instruisait ses élèves à la formation dramatique sans la dissocier de l’instruction à la culture politique. Rien ne pouvait aller de l’une sans l’autre. Politiquement parlant, son passage au Service culturel et social de l’entreprise nationale SNS-El-Hadjar était très instructif, puisqu’il avait eu la chance et le bonheur de se lier avec le militant et syndicaliste Mohand -Salah Rezine, un ancien de l’ORP. PAGS ou pas, Makhoukh n’était pas considéré par Rezine, comme un cadre du parti, mais un artiste progressiste et indépendant organiquement qui est bien lier aux masses.
Il n’était pas fan des théories universitaires. Il était de tout temps en divergence avec Ahmed Cheniki, avec des discussions qui se terminaient en queue de poisson. Mais, ce qui les unissaient c’est cette histoire du théâtre algérien : elle ne débutait pas avec Mahieddine Bachtarzi, le "roi" des sketch-chourba.
Makhoukh admirait Kateb Yacine. Pour lui, Nedjma est une pièce théâtrale romancée. Le Polygone étoilé lui, est un drame tragique digne du théâtre grec. Il théorisait sans être un théoricien. Sa simplicité, sa modestie et son amour pour le petit peuple, lui fit rencontrer ammi Mustapha Djendi, un ami lettré de Kateb Yacine. Il n’habitait pas si loin de Boubakeur, l’aventure de Yacine et les tirades du théâtre de Corneille les unissaient. Boubakeur aimait l’anecdotique, cela enrichissait le quotidien de l’artiste et nourrissait le mythique des incultes. Lors de l’une de nos rencontres privés dans le gourbi de ammi Mustapha, ce dernier nous raconta l’histoire du manuscrit de Nedjma :
"Avec Yacine, nous avons trop veillé à organiser le manuscrit du livre. Le lendemain, nous avions rendez-vous avec le directeur des éditions Le Seuil, à 9h pile. Il était 10h et demi et il dormait encore. Une fois debout, il me traita de tous les noms, renvoyant la faute sur moi et il se mit à ranger ses pages qu’il suspendait tel un linge, c’est sa technique pour les relire et les corriger, il les assemblait pêlemêle, commençant par celles fixées dans la chambre pour finir avec celles dans la salle de bain. Nous étions en retard et il n’avait pas de temps à les ordonnés. Je m’étonne aujourd’hui, ajoutait ammi Mustapha, que l’on parle d’une écriture spirale ! C’est l’oblique qui l’intéressait, mais bon c’est à son honneur".
Si le diabète n’avait cessé de ronger Bob, mais c’est la trahison et l’usurpation qui l’ont achevés. Ses amitiés avec les défunts Benaldjia, Kheiri (son fils spirituel et artistique), KKE (Rafik Samed du quotidien Le Matin et d’Alger-Républicain) et bien d’autres, font de Makhoukh Boubakeur, un dramaturge de sa cité. Fellag, l’autre géant de la scène national et ami dévoué de Bob, on sait un long boue, puisqu’il prit à son compte personnel les funérailles de Bob (il faut lui témoigner cette ardeur de l’âme et de l’esprit), de la morgue au cimetière de Sidi-Harb (du nom d’un des chefs de la Résistance anticolonialiste dès le débarquement de la soldatesque française, avec la « plus belle » des complicités des féodaux locaux, à Bouna (Annaba). Repose en paix, âme guerrière, nous veillerons sur le Cap de Garde.
M. K. Assouane
Universitaire Alger-2.