Le Matin 26-03-2016 24004
Association ADDRA (Algériens des deux rives et leurs amis) a rendu public son rapport sur la situation des étudiants algériens en France.
Précarité, solitude et parfois même dépression
La situation des étudiants algériens en France est alarmante. Face à cette triste réalité, notre Association ne peut fermer les yeux. En effet, plus de 26 000 étudiants algériens poursuivent aujourd’hui leurs études supérieures dans des universités et écoles françaises, ce qui les place au troisième rang de l’ensemble des étudiants étrangers présents en France. Ce chiffre tend à augmenter vue la hausse du nombre de "visas étudiants" délivrés par le consulat français en Algérie (+5.4% en 2015). Guidés par une farouche volonté de réussir, ils arrivent dans l’hexagone avec des rêves plein la tête ! Mais, hélas, la réalité est parfois moins reluisante, nos étudiants se confrontent à de nombreuses difficultés et découvrent une France qui n’a rien à voir avec l’eldorado tant espéré. Depuis quelques mois, nous ne cessons de recevoir des messages (courriers électroniques, SMS) de détresse de la part de quelques étudiants exprimant des doléances que nous ne pouvons satisfaire.
Les colis alimentaires, que notre petite association Algériens Des Deux Rives et leurs Amis offre, ne résolvent malheureusement pas leurs problèmes. Mais c’est surtout le champ d’intervention de notre association, limité à la région ile de France, qui restreint notre capacité d’action. Ainsi, les étudiants se retrouvent dans un contexte très préoccupant, livrés à eux-mêmes puisqu’il n’existe aucune structure d’accueil. Ils sont confrontés à une triple précarité: administrative, sociale et pédagogique, les poussant, dans les cas les plus extrêmes, à commettre l’irréparable. N’oublions pas, en effet, les cas que nous avons recensés : presque une dizaine d’étudiants se sont suicidés en 2015, ce qui a immédiatement été relayé par les médias. L'un d'entre eux venait chercher régulièrement son colis alimentaire. Nous avons également recensé des demandes d’aides d’étudiants résidant à Montpelier, Orléans, Lyon, Lille et à Grenoble. Nous voulons, par ce travail, non seulement décrire une situation, mais également tenter de proposer des pistes d’amélioration, pour rendre le quotidien des étudiants algérien plus facile Pour ce faire, nous devons nous poser les bonnes questions :
- Le Campus France installé en Algérie leur offre quel type de services ?
- Les conditions de délivrance de visas Une fois en France, quelles sont les difficultés rencontrées ? Quelle en-est la cause ? - L’Etat algérien, assume-t-il son rôle de protéger accompagner ses étudiants ?
Démarche Campus France
Campus France est le premier organisme auquel l’étudiant Algérien doit s’adresser dans le cadre de ses démarches pour étudier en France. Les difficultés commencent avec cette première étape, sachant qu’il n’existe que cinq centres Campus France sur tout le territoire algérien ( Alger, Annaba, Constantine, Oran, Tlemcen), pour répondre à environ 17000 à 25000 demandes à l’année, ceci est très insuffisant et engendre de grosses difficultés, liées principalement à un manque d’organisation et aux délais de traitement souvent trop longs, cette démarche peut s’avérer encore plus difficile pour les étudiants ne vivant pas à proximité de l’un de ces centres, devant parcourir plusieurs centaines de kilomètres dans l’espoir d’avoir ne serait-ce que des renseignements. A noter également que les prestations sont proposées à des tarifs très élevés (8000 DA pour les différents tests de langue française, 8000 DA frais de dossier) et ne cesse d’augmenter d’année en année. L’une des autres missions qui incombe à cet organisme est de fournir les informations nécessaires pour les différentes démarches à entreprendre auprès de différentes institutions en France (couverture médicale, démarche auprès de la préfecture, logement…), or, dans les faits, les étudiants ne sont informés de ces procédures qu’une fois arrivés en France et à travers des circuits d’information non officiels. En somme, Campus France n’encadre pas suffisamment les étudiants effectuant leurs démarches dans l’espoir d’aller continuer leurs études en France, et se contente de jouer le rôle d’une passerelle avec les universités, ce qui ne justifie nullement les tarifs appliqués, d’après les nombreux témoignages allant dans ce sens.
Demande de visa auprès du Consulat de France
Une fois les démarches d’inscription et les tests auprès de Campus France effectués, l’étudiant doit, là aussi, faire face à d’autres contraintes dans le cadre des procédures pour l’obtention du visa, la principale étant le motif du refus qui n’est pas fourni dans la plupart des cas. L’étudiant Algérien se retrouve ainsi dans un flou total ne sachant pas quoi ajouter ou ajuster dans son dossier ce qui les dissuadent à faire de recours
Arrivée en France
Une fois le visa en poche, l’étudiant arrive en France, et se heurte à d’autres difficultés : · Absence d’organisme d’accueil et d’orientation : La première surprise est l’absence totale d’un service d’accueil et d’orientation, les nouveaux arrivants sont livrés à eux-mêmes, dans un pays et une administration qu’ils ne connaissent pas, perdant tout repère. · L’accès aux services universitaires : l’hébergement reste l’un des soucis majeurs, dans la mesure où les étudiants algériens ont un accès limité aux services d’hébergement des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS). Une convention signée avec la direction de la cité universitaire internationale de Paris en 2005 devait aboutir à l’édification d’une maison dotée d’une capacité d’accueil de 250 lits. Mais à ce jour, ce projet est toujours en attente de réalisation. Résultat, les étudiants algériens doivent, outre leurs diplômes, faire preuve d’un sens accru de la débrouillardise pour s’en sortir ! Certains en viennent même à dormir dans les transports publics, dans des centres d’hébergement d’urgence et parfois dehors !
Démarches administratives
· Démarches administratives à la préfecture
Le 26 janvier 2016, le projet de loi relatif aux droits des étrangers a été adopté à l’Assemblée nationale en France. Parmi les mesures phares de ce projet, le titre de séjour pluriannuel, généralisé à tous les étudiants étrangers, un avantage dont les étudiants Algériens ne peuvent bénéficier, ces derniers n’ayant toujours le droit qu’à un titre de séjour d’une validité d’une année renouvelable sous conditions ; ce qui constitue un handicap dans leur quotidien: - La contrainte de faire chaque année plusieurs allers-retours à la préfecture pour pouvoir déposer un dossier, connaître son avancement, retirer son titre de séjour - L’absentéisme des cours et des examens dû à ces démarches contraignantes et répétitives.
- L’interruption des Aides Pour le Logement (APL) le temps de renouveler son titre de séjour. Outre l'accueil et sa qualité, il est important de souligner le traitement des dossiers, qui lui aussi peut différer d'un département à un autre pour une procédure, pourtant, unique. Il est aussi à signaler que les étudiants Algériens, quand ils arrivent en France, avec un visa d’une durée de 3 mois, doivent faire une demande de carte de séjour dans les 2 mois suivant leurs dates d'entrée en France, pendant que leurs camarades d’autres nationalités ont des visas d'une année pour la première année en France. Par conséquent, l’étudiant se voit vivre une situation handicapante, où il ne peut ni travailler, ni voyager, jusqu’à la délivrance de son premier titre de séjour.
Accès au marché du travail
· Accès au travail
L'APT (Autorisation Provisoire de Travail): La législation française sur le travail autorise les étudiants, étrangers notamment, à exercer une activité rémunérée de 964 heures soit 60 % de la durée annuelle du temps de travail, et l’accès à cette activité est rendue possible par l’inscription, sur la carte de séjour, de la simple mention «étudiant». A l’exception de l’étudiant Algérien qui lui doit non seulement travailler 822 heures soit moins de 50 % par an, mais également il est soumis à l’obligation de demander au préalable une autorisation auprès de la direction départementale du travail DIRRECTE. Cette démarche supplémentaire rallonge le délai entre l’obtention du poste et le démarrage de l’activité, selon de nombreux témoignages, délai allant jusqu’à 15 jours, ce qui dissuade les entreprises de recruter des étudiants algériens.
· Une fois diplômé
Afin de compléter sa formation par une première expérience professionnelle en France, l’étudiant étranger, une fois diplômé, a en principe la possibilité de solliciter une autorisation provisoire de séjour qui lui déverrouille l’accès au marché de l’emploi, elle permet ainsi à son détenteur de rester sur le sol français pendant une période de 6 mois renouvelable une seule fois. Or, les étudiants Algériens sont encore une fois exclus de ce dispositif, ce qui les conduit à entamer les recherches d’emploi pendant leur cursus et les met dans l’obligation d’intégrer impérativement la vie active avant l’expiration de leur titre de séjour. Les jeunes diplômés algériens en plus d’être exclus de l’APS, le sont également des métiers «en tension» et donc la situation de l’emploi leur est opposable même pour ces métiers-là, obligeant ainsi l’employeur à fournir des justificatifs de difficultés de recrutement pour le poste en question et prouver des recherches préalables de candidats français restées infructueuses. Des contraintes, applicables aux seuls ressortissants algériens, qui dissuadent les entreprises à les recruter.
Conclusion
Ce rapport et ces rencontres nous envoient des signaux alarmants concernant les difficultés auxquelles les étudiants Algériens sont confrontés. L’association ADDRA déplore, et ce depuis quelques mois maintenant cette situation, ainsi elle s’est donnée le rôle et l’objectif de porter leurs voix aux autorités compétentes dans le but d’améliorer leur quotidien. Notre plus grande aspiration et unique souhait sont évidemment, comme soulignés dès le début, d’offrir des facilités et un environnement favorable à nos étudiants non boursiers à l’étranger, c’est dans ce sens que nous avons formulé avec l’aide des étudiants une liste de recommandations.
Au niveau de Campus France
· Mettre un service d’orientation et d’information. Ce service aurait pour vocation de distribuer à chaque étudiant inscrit une liste de documents contenant des informations sur la démarche administrative à suivre dès l’arrivée en France, une liste d’établissements à contacter pour obtenir une chambre d’étudiants, les adresses des consulats Algériens. · En cas refus, le remboursement systématique des frais de demande de visa aux étudiants ayant rempli toutes les conditions d’admission auprès d’universités en France. · Mettre en place des annexes pour alléger la charge sur les centres existants Une fois arrivés en France : La deuxième exigence s’adresse à l’Etat Algérien il devrait, · Assurer la protection de ces citoyens conformément à l’article 24 de la constitution consacré à la sécurité et la protection de tout citoyen Algérien» , débloquer des fonds d’aides d’urgence pour les étudiants Algériens non-salariés, · L’Etat algérien doit mette à disposition son patrimoine immobilier en France aux étudiants n’ayant pas pu trouver d’hébergement. · Le respect des engagements d’Etat algérien à l’édification de la maison d’Algérie, à savoir que la cité internationale universitaire de Paris a donné gracieusement le terrain · La mise en place d’une structure publique dont la priorité consiste à orienter les étudiants algériens. · Mettre en place un service social à accessible à tous les étudiants dans chaque consulat. · Mettre le centre culturel Algérien à disposition de l’association ADDRA et d’autres associations Algériennes humanitaires pour qu’elles puissent organiser des œuvres de charité pour accueillir nos étudiants et nos citoyens isolés sans ressources. Nous interpellons aussi les pouvoirs publics Algériens pour renforcer les accords de coopération avec la France pour trouver des solutions durables pour mettre fin à de telles situations.
Association ADDRA