Le Matin 12-10-2015 17848
«Ikhwanna al-djazayriyinne, l’afhale idabhouh» (1)
C’est une contribution inspirée de la mésaventure d’un directeur général d’une entreprise étatique de production. Un universitaire de cette génération auquelle on s’est échiné a expliquer, lorsqu’il était étudiant, le « socialisme spécifique ». On a voulu la raconter pour que les jeunes diplômés puissent en tirer profit si jamais ils atteignent ce niveau de responsabilité avec le régime politique actuel. Les organismes de formation appellent cela «une étude de cas».
Avant d’arriver à ce niveau de responsabilité, ce cadre a, nécessairement, crapahuté durant deux décades et plus sur les pistes tortueuses du secteur public algérien. S’il est ingénieur de formation et connaissant bien l’entreprise où il a occupé divers postes subalternes, il sera capable d’obtenir de bons résultats. A la prise de fonction, il sera en mesure de savoir très rapidement que les principales contraintes que rencontre son entreprise peuvent être ceux-là :
Dès la première année, le monsieur et son équipe peuvent, à force de travail et de rigueur, rendre l’entreprise bénéficiaire et réaliser 20% du chiffre d’affaire annuel à l’export.
A ce moment précis, une plainte peut être déposée contre le gestionnaire. Il faut savoir que s’agissant d’une entreprise étatique n’importe qui s’estime en droit d’accuser : la tutelle et les structures qui la représentent, le syndicat, l’agent s’estimant lésé, le commissaire aux comptes, un partenaire dont l’offre a été rejetée, une simple lettre anonyme, etc. En matière de précautions à prendre en ce domaine, il y a lieu de faires les recommandations suivantes aux futurs gestionnaires :
1) Le poste de directeur général d’entreprise publique a été dévalorisé depuis la restructuration/destruction des sociétés nationales en 1983. Même si vos résultats sont excellents, seule une minorité parmi votre personnel les reconnaitront ; ailleurs il ne faut vous attendre à aucune considération. Vous avez bien lu dans la presse comment on arrête un général en retraite : braquage dans la rue comme pour un voleur de poule. Cela donne une idée sur le poids moral que peut avoir un bon gestionnaire d’une entreprise étatique.
2) Ne jamais prendre comme argent comptant ce que vous dit le ministre de tutelle. Il pourra dire et répéter lors des réunions "Travaillez, ne volez pas et on sera toujours derrière vous" ; mais dans la réalité, que vous ayez volé ou non, vous n’aurez même pas la possibilité d’exposer le problème de vive voix au ministre ou à ses proches collaborateur. Si entre temps on vous a changé de tutelle, chose très fréquente avec des gouvernants en manque de légitimité, et que vous êtes en retraite, alors l’ancien ministère vous dira « votre ancienne entreprise ne dépend plus de nous » et le nouveau "les faits ont eu lieu avec l’ancienne tutelle qui ne nous a pas transmis votre dossier".
3) le code des marchés publics, adopté en 2010 par décret, dit ceci : «Les dispositions du présent décret sont applicables….aux entreprises publiques économiques Lorsque ceux-ci sont chargées de la réalisation d’une opération financée totalement ou partiellement, sur concours temporaire ou définitif de l’Etat». Mais ne vous amusez jamais à ne pas tenir compte de ce code, très contraignant, au motif que l’entreprise utilise son argent et non pas celui de la banque public ou du trésor. Au niveau de la justice, et malgré l’autonomie financière des entreprises publiques, l’interprétation du décret peut être autre. Veillez toujours à temporiser votre ardeur dans le travail car si vous n’obtenez pas des résultats, même si vous menez l’entreprise a la faillite, vous ne risquez nullement la prison. Vous deviendrez presque riche avec la prime de départ si l’entreprise est fermée pour non rentabilité. Par contre avec le non-respect du code des marchés, la décision d’emprisonnement est dans la plus part des cas inévitable, du moins en première instance, et les résultats positifs de votre travail ne pèseront pas lourds dans la balance.
4) Ne jamais recruter un parent a vous, même si vous le faite conformément a la loi. On ne vous pardonnera pas cet acte. L’économie du pays étant en faillite, presque tous éprouvent des difficultés en ce domaine. Le « procès Khalifa » et certaines critiques contre la compagnie Air Algérie nous ont appris que même ceux qui sont payés pour créer ou faciliter et encourager la création d’emploi pour les citoyens ont des problèmes pour caser leur progéniture et certain d’entre eux ont opté pour des solutions indignes.
Une plainte peut donc être déposée contre vous ; très facilement, ce qui est normal, et sans aucun risque pour le plaignant ce qui l’est moins. Au niveau de la justice, toute plainte doit être motivée. Si le plaignant est un commissaire aux comptes(2) techniquement limitée, amateur de cadeaux de fin d’année (« ikramiyyathe ») que vous avez supprimés, ignorant l’éthique de la profession et qui a eu à faire face à votre rigueur, voilà quelques exemples de reproches qu’il est capable de vous faire et les réponses possibles:
1) Des griefs ridicules (un commissaire aux comptes incompétent peut en faire):
2) Les griefs mensongers (dans l’Algérie actuelle, on peut hélas trouver un commissaire aux comptes menteur) ; ces sont des accusations erronées et l’auteur le savait ou pouvait très facilement le savoir :
- Dans sa plainte, un commissaire aux comptes menteurs, peut vous accuser sur un dossier qui a été traité et clôturé avant votre nomination et avec lequel vous n’aviez aucun lien.
- Manque de diplômes dans les dossiers de certains agents : Après vérification vous constaterez que si des copies de diplômes manquent dans certains dossiers c’est parce que les agents concernés n’ont en pas, situation héritée de la GSE et son mécanisme de "promotion interne".
- Signature d’un ordre de mission pour un agent : vous pouvez crier que vous êtes habilité à signer des ordres de mission pour tout agent mais la prérogative n’a jamais été utilisée car déléguée aux responsables administratifs, le menteur ne vous croira pas et vous serez très content d’apprendre que « le décideur » au niveau de la tutelle ou de la justice n’en a pas tenu compte.
Dans la plainte il y a, bien évidemment, des griefs qui sont en apparence objectifs et recevables ; dans ce cas, vous devez les expliquer au «décideur» qui peut être votre chef ou un juge. Il faut savoir que le «décideur» n’est pas sensé connaitre le volet technique de l’acte qui vous est reproché, ni le pourquoi ni le comment et c’est à vous de donner les explications nécessaires, clairement et précisément. Tout ce que vous dites doit être prouvé avec une traçabilité telle que n’importe qui peut retrouver l’information.
Lors des explications, vous pouvez vous trouver face à un «décideur-neutre », serein et méthodique, qui pose des questions, analyse vos réponses, les confronte avec des éléments en sa procession et se fait une idée assez exacte sur le fait; comme vous pouvez vous trouver face à un « décideur-accusateur » qui vous a condamné, sur instruction ou de sa propre volonté, bien avant la décision de la justice.
Une dernière information pour nos futurs D.G du secteur public : certains cadres subalternes actuellement en fonction se disent puisqu’il peut y avoir des commissaires aux comptes « gratteurs de râtelier », une tutelle passive, une « justice de la nuit » et l’Algérie parmi les pays les plus corrompus, il est préférable d’opter pour la seule précaution réellement protectrice : refuser le poste. Ceux sont généralement les plus compétents. Certains autres, pas très nombreux, pensent que ce n’est pas la bonne solution pour le pays et qu’il faut batailler, comme le font déjà certains et avec des sacrifices même.
Noureddine M.
Notes :
(1) : "Nos frères algériens égorgent toujours le bélier fécondateur". L’auteur de la phrase serait un tunisien anonyme.
(2) : Grâce a une loi adoptée en 2015, le commissaire aux comptes n’a plus la possibilité de s’adresser directement à la justice, il doit passer par le conseil d’administration.