Monde arabe : La laïcité, une nécessité absolue
L’appartenance communautaire et confessionnelle doit céder la place à la citoyenneté. Le point de vue de l’intellectuel palestinien Khaled Hroub.
Contribution au débat : "La démocratie est-elle concevable dans le monde musulman ?"
Voilà plus d’un siècle et demi que les penseurs arabes se penchent sur des questions telles que le regard sur l’Occident, les relations entre Etat et religion, la laïcité et la démocratie, la situation des femmes, les formes de gouvernement, etc. La nouveauté réside dans l’expérience historique accumulée et les conclusions qu’elle suggère. Ainsi, l’échec du panarabisme ou de la gauche arabe peut expliquer la naissance et le développement des différents courants de l’islam politique et l’apparition au sein de vastes tranches de la population de la conviction que “la solution, c’est l’islam”.
L’histoire récente nous enseigne que le courant islamiste, toutes tendances confondues, des plus modérées aux plus extrémistes, n’a pas mieux réussi que les différentes expériences antérieures – les républicaines radicales comme les royalistes – qu’il a prétendu remplacer. Pas plus que le baasisme, le socialisme, le tribalisme ou l’islam traditionaliste, l’islamisme n’a su proposer de modèle sociopolitique convaincant. Pis, il n’a fait qu’injecter dans les relations politiques au sein des différents pays de la région une composante dramatique supplémentaire, qui est venue s’ajouter à l’oppression sanglante vécue par les sociétés arabes, que ce soit en Egypte, au Soudan, en Algérie ou en Syrie, ou, dernièrement, en Palestine. Partout, les partis politiques islamiques se sont rapidement transformés, à l’instar de leurs aînés baasistes, socialistes et autres, en fiefs despotiques. Leurs adversaires politiques ont été stigmatisés, non plus comme adversaires politiques, mais comme ennemis de la religion, déclarés mécréants et voués aux gémonies et aux fatwas. La culture de violence dans laquelle est né et s’est développé le Hamas au cours des décennies passées a créé un terrain favorable à l’excommunication de l’adversaire, dont le sang devient alors “halal”.
Aujourd’hui les sociétés arabes sont travaillées de tensions entre majorité sunnite et minorité non sunnite, entre majorités arabes et minorités non arabes, entre Arabes et Africains, entre Arabes et Berbères… Outre les luttes interconfessionnelles les plus visibles, comme en Irak, au Liban ou à Bahreïn, nombre de pays arabes restent dominés par le tribalisme. Sous la couche superficielle de modernisme, l’allégeance tribale n’a pas cédé un pouce de son influence sur les individus, les sociétés et la politique.
A l’évidence, il n’existe pas de système de valeurs autre que la laïcité, susceptible d’organiser des relations saines entre ces différentes entités dans les champs politique, culturel et social. Et si toutes les tentatives de démocratisation dans le monde arabe ont systématiquement avorté, c’est que, en l’absence de culture laïque bien ancrée, le fossé à franchir est trop vaste. Or c’est la démocratie qui, en substituant des modalités pacifiques à la violence, permet de résoudre les tensions politiques et empêche qu’elles ne dégénèrent en affrontements sanglants. Car, dans un monde arabe où une démocratie de façade a été octroyée par les régimes despotiques en place, les partis se sont vite retrouvés à représenter non pas des tendances politiques, mais des entités confessionnelles et tribales. Au final, seules les apparences changent : les appellations sont nouvelles, les allégeances immuables.
Pour nous débarrasser de ces différentes allégeances et adopter enfin les principes de la citoyenneté laïque et de l’égalité fondamentale entre citoyens, la laïcité devient pour nous une nécessité absolue. Elle seule nous permettra de sauvegarder ce qui reste de nos sociétés, avant que leur tissu ne soit irrémédiablement détruit par des explosions sanglantes toujours renouvelées. Et elle est indispensable pour que puisse s’instaurer une démocratie véritable, seule susceptible d’apporter enfin la paix civile et la coexistence entre individus considérés en tant qu’individus et citoyens, et non en fonction de leur origine communautaire, de leurs croyances ou de leurs choix politiques. A défaut de quoi nous nous condamnons à labourer indéfiniment une mer de sang.
Khaled Hroub
Al Hayat
Grand connaisseur du Hamas, auquel il a consacré deux livres, ce chercheur et écrivain palestinien dirige à l’université de Cambridge un programme sur les médias arabes.
Commentaires (4) | Réagir ?
Millia le 16 09 2008
La laïcité est une nécessité vitale pour l'Algérie. Seule l'entité au pouvoir peut penser qu'on peut tuer, effacer et recommencer et faire comme si rien ne s'était passé. L'oubli est impossible à un peuple dont la mémoire collective est désormais hantée par le souvenir du massacres des d'innocents, le pardon est interdit en sachant que les égorgeurs et poseurs de bombes sont restés impunis. Oui l'islam ne doit plus invertir l'espace public et politique, lorsqu'on sait que c'était en son nom que d'innommables horreurs ont été commises dans ce pays. Instaurer d'urgence la laïcité c'est protéger cette religion contre de futurs et éventuels assasins et autres dictateurs présents et avenir qui l'instrumentalisent.
Quant aux vrais croyants, ils savent que la foi et une affaire privée entre le créateur et sa créature, laquelle ne doit jamais se substituer à lui.
Je suis ravi de voir qu´il y a des algériens qui comprennent l´importance de séparer l´Etat de la Réligion. A Ceux qui ne sont pas d´accord je leur conseille d´étudier les luttes en Europe pour séparer le pouvoir de l´Eglise de l´Etat. Et de voir l´évolution qui s´est produite à partir de là.