Linda Amiri : "Battre en brèche les préjugés sur l'immigration algérienne"

Linda Amiri, auteure de "La bataille de France" consacré au 17 octobre 61 (thèse de DEA)
Linda Amiri, auteure de "La bataille de France" consacré au 17 octobre 61 (thèse de DEA)

Spécialiste de la Fédération de France du FLN, Linda Amiri parle de l'exposition "Vies d’exil. 1954 - 1962. Des Algériens en France pendant la guerre d'Algérie" qui se tient du 9 Octobre 2012 au 19 Mai 2013 à Paris et dont elle est Commissaire avec Benjamin Stora.

Le Matindz: "Vies d’exil... (1954 – 1962)" est une exposition sur la vie économique, politique et culturelle de l’immigration en France. Pourquoi cette période sachant que celle antérieure à 1954 est la moins connue ?

Linda Amiri : Il est vrai que cette période est plus connue que celle de l’entre-deux guerres, mais nous voulions ici mettre en lumière le quotidien de l’immigration, laquelle est bien trop souvent vue uniquement à travers le prisme de la répression. Vies d’exil invite à découvrir le quotidien des travailleurs algériens et de leurs familles entre 1954 et 1962. Une histoire qui est avant tout celle de l’ancrage social, de l’apport à la France par le travail, de l’engagement politique et artistique. L’exposition ambitionne surtout de battre en brèche les préjugés que le grand public peut avoir sur cette immigration : non, les travailleurs algériens à cette période ne sont des hommes "invisibles" qui rasent les murs, ils ont un passé politique, une vie sociale et s’engagent pleinement dans le combat indépendantiste et syndical malgré la guerre et la répression.

Vous cosignez cette exposition avec l’historien Benjamin Stora qui «s’attarde, écrivez-vous, sur la séquence décisive de la guerre d’Algérie, et sur la façon dont elle a été vécue par les immigrés algériens en France.» Les deux générations que vous représentez posent-elles un regard différent sur cette tranche d’histoire ?

Nos regards se complètent, parce que nous avons Benjamin Stora et moi-même une histoire différente avec l’Algérie, et avec l’immigration algérienne. Pour moi cette exposition retrace avant tout une partie de l’histoire de mon père. J’étais donc très sensible à certains aspects de l’exposition, et lui à d’autres. Et c’était très intéressant de collaborer avec lui, j’ai beaucoup appris à ses côtés, et notamment qu’une exposition n’est pas une thèse et que cela demande un travail pédagogique important. Par ailleurs mon intérêt pour l’art a fait que j’ai voulu, dès le départ, que cette exposition ne repose pas seulement sur des documents d’époque et des photographies, je voulais une exposition où les arts plastiques ont toute leur place. Et je dois dire que sur ce point le travail d'Anissa Bouayed, historienne et consultante de l'exposition,  a été une réussite. J’aimerai également souligner que si Benjamin Stora et moi-même avons beaucoup travaillé sur l’exposition, et que nous avons pleinement tenu notre rôle de Commissaires scientifiques (un travail de plus de deux ans !), Hedia Yelles-Chaouche, muséologue et responsable de l’exposition à la CNHI a eu un rôle décisif dans l’organisation de l’exposition.

La chanson née des milieux chantant et dansant de l’immigration en France durant cette période n’est pas abordée au côté du théâtre…Pourquoi ?

Non, la chanson et les artistes sont présents dans cette exposition et dans le catalogue ! Cela aurait été un non-sens de travailler sur un tel sujet en omettant la chanson de l’exil  car elle est intrinsèquement liée à l’histoire de l’immigration! Les chanteurs de l’exil sont évoqués et mis en scène, au même titre que les écrivains, les comédiens, les romanciers et les artistes de cabarets. Par ailleurs, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration a inclus dans la programmation autour de l’exposition, un hommage aux chanteuses et chanteurs de l’exil.

"Vies d’Exil des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962" est également un ouvrage collectif qui réunit des contributions d’experts ? Quels sont les principaux sujets abordés ? Quelques auteurs ?

Effectivement, c’est la particularité de ce catalogue, car il permet aux visiteurs de consolider leurs connaissances tout en ayant un rappel des œuvres utilisées dans l’exposition. 28 chercheurs des deux rives de la méditerranée ont accepté d’y participer, il y a à la fois des historiens confirmés  – Jean-René Genty, Sylvie Thénault, René Galissot, Amar Mohand Ameur, Malika El Korso, Benjamin Stora, Serge Berstein, Jim House-, de brillants doctorants spécialistes de l’Algérie – Muriel Cohen, Nedjib Sidi-Moussa, Claire Marynower- des démographes – Lionel Kesztenbaum et Patrick Simon-, des sociologues – Ahmed Boubeker. La muséologie et l’histoire culturelle sont également bien représentées. De plus, nous avons fait le choix d’insérer dans ce catalogue des témoignages d’immigrés qu’ils aient été mineurs, ouvriers, enfants ou artistes, ils témoignent de ce que fut leur vie quotidienne pendant la guerre d’indépendance. Et puisque tout à l’heure nous évoquions la chanson, l’artiste Kamel Hamadi nous a fait l’honneur de participer à ce catalogue.

Vous présentez lors de cette rencontre une conférence "Combattre en France - Les immigrés algériens engagés dans la guerre d’indépendance". Quels en sont les principaux aspects abordés ?

Généralement dans une exposition, les Commissaires scientifiques font chacun leur tour une conférence. Moi j’ai voulu partager "mon moment" avec le jeune politologue Nedjib Sidi-Moussa spécialiste du MNA de Messali Hadj. J’estime en effet, que cette exposition est celle de tous les Algériens, quelque soient les choix politiques qu’ils ont faits pendant la guerre d’indépendance. Cinquante après les accords d’Evian, il me semblait important que tous deux, représentants de la nouvelle génération de chercheurs, nous abordions en toute sérénité et objectivité l’histoire complexe des luttes politiques dans l’immigration et de la guerre civile entre militants FLN et militants MNA.

Sur ce sujet, quelle est votre lecture du livre de l'historien universaitaire Daho Djerbal consacré à l’Organisation spéciale de la Fédération de France du FLN (Ed. Chihab, Algérie, 2012) ?

Le travail de Daho Djerbal est très important car il met en lumière une branche de la Fédération de France du FLN qui jusque là était très mystérieuse et, permet ainsi d’éclairer un peu plus l’histoire de cette Fédération. Au-delà du long travail de recherches que ce livre a nécessité, au-delà de la qualité de l’ouvrage, le livre de Daho Djerbal est important pour l’historiographie algérienne. Cela faisait bien longtemps qu’un livre d’Histoire contemporaine de qualité écrit par un universitaire algérien n’avait pas été publié. J’espère qu’il sera suivi de beaucoup d’autres !

Bio-express de l'auteure

Spécialiste de l’histoire de l’immigration et de l’histoire du mouvement ouvrier, elle prépare une thèse de doctorat sur la Fédération de France du Front de libération nationale (1954-1962) à Sciences-Po Paris, sous la direction de Serge Berstein et Benjamin Stora. Rattachée au Centre d’Histoire de Sciences-Po et du laboratoire de recherches Frontières, acteurs et représentations de l'Europe (FARE) de l’IEP de Strasbourg, elle a participé à plusieurs ouvrages collectifs sur la Guerre d’Algérie, mais également l’histoire de l’immigration en France, et est l’auteure de «La Bataille de France, la guerre d’Algérie en métropole», Editions Robert Laffont, France, 2004 et Editions Chihab, Algérie, 2006.

Propos recueillis par Rachid M.

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