Quand l’Histoire s’écrit dans la sphère du privé…

Quand l’Histoire s’écrit dans la sphère du privé…

Les témoignages écrits sur la guerre de Libération, par ses récits de guerre, ses icônes, ses scandales inscrivent l'histoire hors du domaine officiel et commémoratif et la projettent dans la sphère du privé.

Depuis le début des années 2000, des publications de témoignages écrits sur la guerre de libération se multiplient. Ces témoignages sont le fait d’hommes et de femmes de combat, des officiers de l’ALN des anciens du Malg, des spécialistes des transmissions, des commandants de compagnie qui racontent leur vécu dans les maquis de différentes régions du pays de 1954 à 1962. Cette période de sept années de guerre, le cadre temporel générique de ces témoignages, comprend deux tranches : 1956 à 1958 et 1956 à 1962. Certains écrits remontent jusqu’aux années 1940. Ces écrits se répartissent grosso modo en trois genres qui ne sont cependant pas distincts : la biographie (apologétique bien souvent quand il s’agit de portraits de héros de la guerre de Libération), l’autobiographie de guerre (écrite à la première personne et abondamment illustrée de photos d’époque, celles surtout de l’auteur en situation), le récit des grandes batailles, d’épopées de l’ALN évoquant la traversée de la ligne Maurice, l’acheminement des armes transfrontalier et des témoignages sur des "complots" internes ou externes au FLN comme l’affaire de la "bleuite", le massacre du village Melouza dans la vallée de la Soummam ou encore les luttes intestines dans les maquis de l’Aurès aux premières heures de la lutte armée.

Le roman à caractère historique inspiré des faits de la guerre de libération perce dans ce genre mêlant réalité et fictionnel. Les deux tomes d’une saga jamais écrite sur la pénétration coloniale et la guerre de libération Les sept remparts de la citadelle de Mohamed Maârfia en est la parfaite illustration. Un autre aspect de ces écrits concerne la publication de documents épistolaires internes au FLN / ALN tel l’excellent ouvrage de Mabrouk Belhocine Courrier Alger – Le Caire édité aux éditions Casbah ou encore Les archives du FLN de Mohamed Harbi et de Benjamin Stora. Des enquêtes, des études, des thèses universitaires s’intéressent à des faits précis englobés dans cette période. La répression du 17 octobre 1961 de la manifestation des Algériens à Paris a fait l’objet de nombreux écrits dont le tout dernier La Bataille de France de Linda Amiri qui a été réédité en Algérie en 2004 aux éditions Chihab.

Dans le genre autobiographique, ce sont les récits d’anciens condamnés à mort, de torturés dans les geôles coloniales qui dominent. La diversité de ces écrits a un point commun : ils offrent à lire aux lecteurs, un vécu de la guerre de la guerre de libération hors du discours idéologique ou de la volonté d’explications politiques du combat libérateur. C’est là un phénomène nouveau dans la résurgence de la mémoire écrite d’une tranche d’histoire restée longtemps sujette à une remarquable distorsion : l’occultation des faits de guerre détenus par ses acteurs survivants au profit de la culture du secret et du mythe. Ces témoignages sur la mémoire des lieux et des faits d’armes, avec ses réalités humaines, ses défections et ses bravoures, ses lâchetés et ses abnégations, ses faiblesses et ses sacrifices font de plus en plus reculer le mythe, la surdétermination de faits de la guerre de libération qui a été menée, ainsi que le montrent ces témoignages, non pas par des surhommes, gonflés par la foi mais par des hommes, des jeunes jaloux de leur pays, de son Histoire, de sa géographie, ayant une prise de conscience politique claire des visées colonialistes. Tout lecteur y pourra déceler, certes, un certain égocentrisme, une autosatisfaction dans ces écrits de guerre, dus, sans doute, au fait, que le passage de la mythification de l’histoire à ses réalités ne va pas sans laisser trace d’auto héroïsme de la part de ceux qui ont décidé de raconter leur propre histoire, sans autre prétention que de laisser trace de ce qui a été leur jeunesse dans les maquis de 1954. Mais à quoi est dû ce soudain intérêt à ce genre d’écrits sur la guerre de libération près d’un demi-siècle après les faits ?

La première explication réside la distanciation, le recul par rapport à l’Evénement. Il faut du temps pour que la passion se mue en raison. Mais cette explication est insuffisante car, il faut bien le souligner, un autre paramètre, politique, celui-là, a causé des dégâts dans la mémoire des survivants de la guerre de libération dont plusieurs se sont éteints sans qu’ils aient eu le temps et la liberté de témoigner sereinement sur des sujets liés à la guerre de libération longtemps considérés comme tabous : l’exemple des supplétifs de l’armée française en Algérie, les harki, l’assassinat de Abane Ramdane, le complot des "bleuïte", la torture par l’armée française... Ainsi que nous l’avions noté au début de cet article, l’histoire de la guerre de libération durant de nombreuses années de la post-indépendance est restée prisonnière d’enjeux politiques. Des témoignages comme Heureux les martyrs qui n’ont rien vu de feu Bessaoud Mohand Arab, ancien officier de l’ALN et fondateur de l’Académie berbère de Paris, a longtemps circulé sous le manteau durant les années soixante-dix et quatre-vingt. Il a fallu attendre les années quatre-vingt-dix pour le voir réédité en Algérie. De même, des écrits d’historiens, acteurs de la révolution algérienne, comme Le FLN, mythe ou réalité de l’historien Mohamed Harbi a subi le même sort. La censure a eu des effets positifs sur l’aura de leurs auteurs et de leurs écrits. Ainsi, ce soudain et énergique regain d’intérêt à la mémoire écrite de la part des acteurs mêmes de la guerre de libération a eu le mérite de casser un tabou : celui de la démythification du "héros", des maquisards et de leurs combats qui sort de la sphère du mythe "préfabriqué à posteriori" à celle de la réalité, du vécu, d’une Histoire inscrite dans son temps et ses espaces, livrant par-là même une mine d’informations essentielles, indispensables à la nouvelle génération d’historiens qui, à la différence de leurs aînés qui furent acteurs et observateurs de la guerre, n’ont que la connaissance et la démarche scientifiques pour ce faire.

D’autres raisons peuvent également expliquer ces motivations, heureuses, d’écrire la guerre d’Indépendance : ces écrits peuvent être lus de concert avec les nombreux écrits - témoignages d’anciens officiers de l’armée française qui, eux aussi, se sont mis à coucher sur le papier, à exorciser les démons de leurs mémoires et ce, de façon plus soutenue à partir des années quatre vingt et, notamment, depuis le témoignage livré au quotidien français Le Monde, en 2001, de la moudjahida, Louisette Ighilahriz sur la torture dont elle a été victime impliquant de hauts gradés de l’armée française. Elle a raconté dans un livre autobiographique Algérienne ( Ed. Fayard, 2001) sous la plume d'Anne Nivat ses années de maquis. Florence Beaugé, journaliste au quotidien Le Monde publie un ouvrage sur la pratique systématique de la torture par l’armée française durant la guerre d’Algérie. Cette enquête menée en France et en Algérie après les témoignages d’Ighilahriz et la publication de Services Spéciaux Algérie 1955 – 1957 (Ed. Perrin –2001) par le général Aussaresses qui raconte l’assassinat de Larbi Ben M’hidi) est intitulée Algérie, une guerre sans gloire, Histoire d’une enquête ( Réédition Chihab – 2005)

Pour l’historien Benjamin Stora, qui écrit dans son livre analysant les productions écrites sur l’histoire de la guerre de libération nationale, intitulé pour la version algérienne Les Ecrits de Novembre, Réflexions sur le livre et la guerre d’Algérie (Chihab Editions, Alger, 2005): "Cette attention au sujet, dans toutes ses inquiétudes, se traduit davantage par une inflation d’autobiographies (…) que par des biographies impliquant une distance, un travail historique. Se raconter pour comprendre l’histoire qui broie, pour échapper à la fois au tourbillon des forces collectives et au désert de la solitude : la guerre se vit et se raconte surtout dans la sphère du privé, à la première personne" (page 128). Benjamin Stora souligne que la distanciation par rapport à l’événement vécu permet à ses acteurs de se libérer des pesanteurs politiques et des "calculs idéologiques" pour concevoir une autobiographie "intime" qui se déploie dans ce qu’il appelle "la sphère du privé", par le recours à la fonction impressive qui était dilué au moment des faits et n’ayant pas de statut énonciatif durant plusieurs années de l’après guerre. Le recours au "je" ne considère pas pour autant l’Histoire comme "un bien personnel", ni ne motive une identification entre des faits de guerre et son acteur qui y est impliqué. Au contraire, raconter la guerre de libération à l’échelle humaine, c’est la replacer dans sa dimension vériste et surtout à l’échelle individuelle, hors de la masse et donc de l’anonymat. Benjamin Stora ajoute à propos de ce genre autobiographique : "L’ambition principale de la biographie est la réhabilitation du récit, c'est-à-dire la présentation narrative d’événements individuels, par opposition aux volontés théoriques d’explications, aux quêtes de sens de l’histoire. Le biographe tente souvent l’identification à son personnage" (page 129).

Très peu de témoignages sur la guerre de libération ont été écrits au moment des faits. Le journal de guerre n’existe pas encore comme genre de témoignage direct sur la guerre de libération exception faite de Le Journal de Marche de Abdelhamid Benzine, lettré, puisqu’il a pris le maquis après avoir été journaliste à Alger Républicain. Le Journal de marche a eu la vie sauve grâce à une vieille femme, ainsi que l’écrit son auteur, qui a su en protéger les feuillets de la moisissure en l’enfouissant sous terre, bien protégé dans une boîte métallique et déterré à l’indépendance. C’est l’un des rares journaux de guerre écrits dans les maquis de Smendou. Ce livre a fait l’objet d’une censure mitigée puisqu’il était paradoxalement disponible dans les bibliothèques scolaires et les maisons de la culture de l’époque mais introuvable sur le marché public. Hormis ce journal de Benzine, les autres témoignages dans les différents genres n’ont vu le jour qu’une quarantaine d’années après les faits, voire plus. Le temps et les aléas de l’histoire des années de la post-indépendance ont pesé pour beaucoup sur cette entreprise d’écriture de la mémoire. Une autre explication pourrait être tentée. La décennie rouge ou noire écoulée a montré - et de nombreux articles de presse en ont fait état - la connivence entre les milieux néo-colonialistes et le terrorisme islamiste. Les profanations de cimetières de chouhadas, les assassinats d’anciens résistants de la guerre de libération, la remise en cause de leur sacrifice dans l’optique de la "dawla islamiya", tous ces retournements et remise en cause de l’identité algérienne ont poussé d’anciens officiers de la guerre de libération à reprendre les armes contre le terrorisme. Et d’autres ont résisté en faisant œuvre…d’écritures pour sauver la mémoire et toucher un large public au moment même d’une destruction presque irrémédiable du sens et des valeurs de l’Histoire. Il appartient aux psychologues d’expliciter cette redynamisation des écrits de l’histoire au cœur même d’une autre tragédie, intérieure celle-là. Notons enfin que cette profusion d’écrits coïncide avec l’ouverture des archives dans l’Hexagone en 2001.

Quels sont les témoignages écrits parus entre 2000 et 2006 ? Sur quels aspects de la guerre de libération se sont intéressés ? Quelles en sont les tendances ?
D’entrée en la matière, la première autobiographie partagée entre le vécu de la guerre dans les prisons coloniales et une lecture politique des années de la post-indépendance, y compris sur la question lancinante de l’identité algérienne, est celle de Ali Zamoum, intitulé Tamurt Imazighen, mémoire d’un survivant , 1940– 1962 édité à deux reprises successivement aux éditions Rahma sans préface en 1994 et aux éditions Enal – Rahma en 1996 avec la préface de Mostefa Lacheraf. Cette autobiographie est écrite dans les règles classiques du genre. Benjamin Stora donne une description de ce genre : "Le fil chronologique continu (avec le récit des origines familiales, l’évocation des années de formation, l’étude des prédispositions à l’engagement, l’entrée dans l’action) se prête à une lecture linéaire. Pas de retour en arrière, ni d’allers-retours, de passages désordonnés, qui peuvent dérouter le lecteur attentif au moment capital de la réalisation du grand dessein, de l’importante décision". Ces règles sont tout autant valables pour l’autobiographie qui suit un cheminement linéaire qui n’est pas celui de la réalité. Si le traitement biographique des héros et martyrs se construit comme sur "un destin joué d’avance" et qu’il obéit souvent "à cette conception linéaire où chaque destin semble joué d’avance…une sorte d’élite dotée de qualités exceptionnelles anime des situations, crée l’événement dans un processus de volonté personnelle, se substituant au mouvement multiforme des sociétés…", ajoute l’historien.

Revenons à l’auteur de Tamurt Imazighen, Mémoires d’un survivant 1940 - 1962. Il a passé toutes les années de guerre en prison et a échappé à trois reprises à la condamnation à mort dont il a fait l’objet. Ami du célèbre auteur de Nedjma, Ali Zamoum a pour interlocuteur de son autobiographie Kateb Yacine. Ce livre, pour avoir été l’un des premiers à être publié et à divulguer des informations de première main jusque – là restées imparfaites ou à l’état de mythe - comment s’est fait le tirage de la déclaration du 1er Novembre à Ighil Imoula - a reçu un large écho des lecteurs, "musclé" par la plume d’un autre historique et de savoirs encyclopédiques, en la personne de Mustapha Lacheraf qui a intitulé sa préface "A la recherche de l’Algérie perdue ou le parcours d’un prisonnier de guerre". Le préfacier résume, ainsi, les deux aspects de Tamurt Imazighen : la vie paysanne dans ce qu’elle regorge de solidarités et d’éveils patriotiques au sens d’attachement forcené à la terre et son engagement naturel dans la lutte armée pour l’indépendance du pays. Ce livre dans lequel Ali Zamoum ne fait pas que raconter ses années de prison, est le premier du genre, par son humilité, les expériences vécues aux confins de la résistance physique et morale de l’homme face à un idéal qui ne s’est jamais démenti. Ce témoignage sera incessamment réédité par Casbah Editions. Son neveu, Rabah Zamoum, est allé sur les traces de son père, Mohamed Zamoum, nom de guerre Si Salah, officier supérieur de l’ALN en Wilaya IV, initiateur, avec trois autres officiers, de la rencontre avec le général De Gaulle, une rencontre qui a soulevé le courroux du CNRA au point où ses compagnons de voyage ont été éliminés. Si Salah, convoqué pour s’expliquer devant le CNRA en Tunisie est mort en cours de route à M'chedellah. Son fils n’écarte pas l’hypothèse d’un coup ourdi. Les détails de cette hypothèse de guet-apens sont donnés dans le dernier chapitre de l’ouvrage. Des informations sur la sécurité du trajet lui ont été sciemment cachées, rapporte son fils qui a rencontré à M'chedellah même une escorte rescapée de l’embuscade tendue par l’armée française.

Des biographies pour briser le silence ou réparer l’occultation

Rabah Zamoum, qui n’est pas historien de formation, a reconstitué le parcours de son père en recueillant des témoignages oraux au sein même de sa famille, auprès des anciens compagnons de maquis de Si Salah et a eu accès à des documents inédits de la wilaya IV décrivant l’état de délabrement des maquis au moment où Si Salah et ses compagnons ont pris langue avec le général De Gaulle. Le titre de cette biographie Si Salah Mystère et Vérités renvoie à la troisième et dernière partie de l’ouvrage consacré à "L’affaire Si Salah". Dans le chapitre Les principaux acteurs de la guerre de Les écrits de Novembre, Bejamin Stora évoque lui aussi cette affaire avant la parution de Si Salah Mystère et Vérités (Ed. Casbah – 2005, deux tirages) : "Dans le camp des partisans de l’Algérie française, voici L’Affaire Si Salah racontée par Pierre Montagnon. En juin 1960, le général De Gaulle reçoit secrètement à l’Elysée le responsable de maquis algérien, Si Salah, avec deux de ses adjoints, venus solliciter la paix. Pierre Montagnon se demande se demande pourquoi il n’a été donné aucune suite pratique à cette démarche. Si Salah fut au contraire éliminé physiquement. Le livre explique pourquoi cette affaire a constitué l’une des causes du putsch d’avril 1961. Cette affaire Si Salah ( qui s’appelait de son vrai nom Mohammed Zamoum) ne fut vraiment connue qu’après l’indépendance". Et c’est en 2005 qu’une biographie lui est pour la première fois consacrée par son fils. Ali Zamoum de son vivant envisageait ce livre comme le Tome II de Tamurt Imazighen. Dans la même veine autobiographique, le témoignage de Abdelhamid Benzine au titre directement évocateur de la sinistre prison Lambèse (Ed. Anep, 2002) recoupe le livre de Ali Zamoum.

Si Salah, Mystère et Vérités de Rabah Zamoum rappelle celle consacrée par Khalfa Mammeri à Abane Ramdane, Abane Ramdane, Héros de la guerre d’Algérie longtemps resté occulté de l’historiographie algérienne. De nouvelles tentatives pour faire taire son assassinat au Maroc sont encore décelables dans des ouvrages récents qui corroborent la thèse officielle "tombé au champ d’honneur". Très peu d’écrits ont été consacrés à cet architecte, intellectuel de la Révolution et cheville ouvrière du Congrès de la Soummam du 20 août 1956. Khalfa Mammeri lui a consacré l’unique biographie à ce jour. Qu’en dit Benjamin Stora dans Les écrits de Novembre, dans le même chapitre Les principaux acteurs de la guerre ? "L’autre personnage important, mis au secret par l’Histoire officielle algérienne, est Abane Ramdane. Sa biographie est rédigée par Khalfa Mammeri (Abane Ramdane, héros de la guerre d’Algérie). Abane Ramdane reste en effet peu ou mal connu. Cela n’est pas fortuit. Une véritable conjuration du silence en a fait l’oublié, voire l’évacué de la Révolution algérienne. Pourtant, son rôle a été déterminant et capital. A force de caractère, d’organisation et de sens de l’action, il est devenu l’un des principaux acteurs de cette révolution. Il sera assassiné au Maroc par les siens le 27 décembre 1957. Usant de témoignages d’anciens compagnons d’Abane Ramdane, ou puisant dans des documents de l’époque (tracts, instructions), l’auteur consacre à la période 1956 – 1957 les épisodes les plus denses. S’il évoque l’autoritarisme de son héros, Khalfa Mammeri écarte la thèse des effets de la réunion du Caire (à l’issue de laquelle a été modifiée la composition de la direction) pour comprendre l’assassinat."

Gilbert Meynier et Mohamed Harbi dans FLN, documents et Histoire (Ed. Casbah ) consacrent un chapitre Le meurtre de Abane Ramdane qui regroupe les écrits relatifs à ce sujet. Suite au tollé provoqué par le livre de Ali Kafi comportant selon les compte rendus de presse "des propos diffamants sur le passé révolutionnaire de Abane Ramdane" ( le livre écrit en arabe a été traduit en français et révisé par les soins des éditions Casbah Ali Kafi, du militant politique au dirigeant militaire), Benyoucef Benkhedda a regroupé en deux volumes les articles de presse dans lesquels il a répondu aux "attaques diffamatoires" de Ali Kafi à l’endroit de la personnalité historique de Abane Ramdane. Ces deux recueils d’articles ont été publiés aux éditions Dahleb.

D’un autre genre est la biographie sur le colonel Amirouche écrite par un de ses adjoints, officier de l’ALN, Djoudi Attoumi auteur d’une intéressante autobiographie de ses années de combat dans la vallée de la Soumam. Le récit, Avoir vingt ans dans les maquis, sous titré par une longue phrase qui en explicite le genre d’écrit Journal de guerre d’un combattant de l’ALN en wilaya III ( Kabylie) 1956 - 1962 publié à compte d’auteur en 2005 écrit d’une manière alerte et décontractée sur le vécu des maquisards dans cette région de 1956 à 1962 a eu une bonne audience éditoriale. Le témoignage est écrit à la première personne et est riche en toponymies villageoises de la région dont il est natif. Son récit, linéaire, n’est pas exempt de réflexions sur des faits de guerre à partir desquels il sort du cadre historique pour livrer aux lecteurs ses propres opinions non dénuées d’humour.

La biographie qu’il a consacrée au Colonel Amirouche, éditée à compte d’auteur en 2004 comporte sur la couverture quatre titres en dégradé : Le colonel Amirouche, entre Légende et Histoire suivi de La longue marche du lion de la Soummam et, pour finir, en manchette, en bas de la couverture : Témoignage authentique d’un ancien officier de l’ALN en Kabylie 1956 – 1962. Apologétique à souhait, le portrait qu’il dresse du légendaire colonel Amirouche dit, en revanche, certaines vérités amères de la wilaya III : l’affaire de la bleuite et le massacre de Melouza sous la responsabilité de Amirouche jusqu’à son départ en Tunisie. On y apprend que c’est son remplaçant, le commandant Abderrahmane Mira, qui a mis fin au massacre des moudjahidine par d’autres moudjahidine sur ordre du colonel. Le chapitre XIII de l’ouvrage est intitulé Amirouche et "le complot des bleus" ne comporte que 11 pages. Il est illustré d’un témoignage d’un témoin de la "bleuite" ayant fait l’objet d’un article de presse en 2000. L’auteur ne cite aucun nom des instigateurs du massacre bien que témoin privilégié de cette affaire. Il verse dans des généralités et n’apporte pas plus que l’histoire a bien voulu livrer sur cette triste affaire. Un autre chapitre relate la mission de Amirouche dans les Aurès pour tenter d’éteindre le feu des luttes tribales qui ravageait les maquis. En revanche, c’est l’une des rares biographies sur le colonel Amirouche reconstituant avec minutie le parcours de ce grand homme, officiellement mort au combat le 29 mars 1959 au Djebel Thamour, en wilaya IV en même temps que le colonel Si Haouas et le commandant Si Amor Driss. Cette biographie est préfacée par M. Abdelhamid Djouadi, général-major à la retraite. Cet ouvrage se termine sur une chronologie générale des "Evénements sur Amirouche".

Dans le même style autobiographique que Avoir vingt ans dans les maquis de Djoudi Attoumi, le livre de Abderrezak Bouhara Les Viviers de la Révolution (Casbah Editions) se veut une autobiographie empreinte de poésie et riche en géographies des maquis de la région de Téniet El Had. Une année avec le colonel Amirouche ( Ed.Casbah, 2010), Aux PC de la wilaya III de Salah Mekacher (ed. El Amel, 2008) et Amirouche, une vie, deux morts, un testament de Saïd Sadi (compte d'auteur, 2010) donnent à lire des biograhies d'Amirouche très contrastées.

Des récits de guerre et des révélations

Intéressons-nous maintenant à un autre genre, plus abondant, ces trois dernières années en publications : le récit des faits de guerre écrits par des commandants de compagnies, sur la ligne Maurice, l’acheminement des armes transfrontaliers, l’avènement des transmissions dans les maquis, les opérations menées par l’armée coloniale dont l’opération Jumelles en Kabylie… Abdelhamid Maâlem signe une belle trilogie éditions d’état Anep intitulée Les témoignages de Bezouiche (un surnom de guerre) ( Ed. Anep) et ayant respectivement pour titre : Commando de la base de l’Est (T.I), Les transmissions de la base de l’Est ( T.II), Bezouiche, le malgache ( T.III). Le premier tome de cette trilogie couvre la période 1955 et 1957. Le deuxième tome relate les événements de la période allant de 1957 à septembre 1958. Quant au troisième volume, il concerne la période de 1958 à la proclamation de l’indépendance. Dans le même ton, Mohamed Lemkami, un ancien officier des services spéciaux, livre ses souvenirs de maquis (Ed. Anep 2004) sous le titre : Les hommes de l’ombre, Mémoires d’un ancien du Malg. (Ministère de l’Armement et des Liaisons Générales)

Dans ce livre, il rend un hommage appuyé à son supérieur hiérarchique au maquis, le colonel Abdelhafidh Boussouf. Interrogé sur ses motivations à la base de ses Mémoires, l’auteur répond ainsi à un journaliste : « La première motivation, c’est que j’ai vu la réalité sur le terrain des combats de la Révolution. C’était une réalité âpre, difficile, authentique mais aussi tellement exaltante. Le danger, le froid, les privations n’avaient pas d’effet sur nous, seul comptait le combat libérateur et le devenir radieux du peuple algérien. La deuxième motivation, est que , j’ai éprouvé la nécessité de relater ces évènements vécus en tant qu’acteur et écrire en connaissance de cause les pages de notre Histoire. On a parlé rarement du MALG dans les ouvrages sur la Révolution algérienne. Ce sujet était même tabou à l’époque du président Boumedienne. Il faut en parler aujourd’hui et je ne voudrais pas laisser cette initiative à des écrivains algériens ou même étrangers qui n’ont pas connu comme moi, la vraie réalité du terrain . Les hommes de l’ombre constitue un récit autographique. Je relate mes mémoires en faisant appel à mes souvenirs et à mon expérience réelle. J’ai en projet la conception cette fois d’un livre à portée historique avec des amis qui ont vécu également cette grande période du MALG, nous allons entreprendre de retracer la véritable histoire de cette institution que personne n’a effectuée jusqu’à aujourd’hui. ». Cette réponse peut, en fait, constituer le générique du déclic du passage à l’écriture des acteurs de la guerre de libération pour échapper à l’oubli, aux déformations et aux silences sciemment maintenus sur leur itinéraire.

Le tout dernier écrit dans cette veine autobiographique est Mémoires, livre signé capitaine Mourad ( Abderrahmane Krimo, commandant zonal, wilaya IV), ouvrage paru en 2006 aux éditions Dar El Othmania. Belahcène Bali, quant à lui, retrace l’épopée du franchissement de la ligne Maurice par les combattants de l’ALN. Son ouvrage intitulé Le rescapé de la ligne Maurice (Editions Casbah). Amar Boudjellal, ancien officier de l’ALN, responsable après l’indépendance des opérations de déminage, livre ses mémoires truffées de considérations politiques dans un livre édité à compte d’auteur Les barrages de la mort, sous titré Le front oublié, faisant référence à la fameuse ligne Maurice. Mohamed Salah Essedik signe pour sa part un témoignage consacré à L'Opération Oiseau bleu qui en porte le titre, un livre édité en 2002 aux éditions Dar El Hikma. Dans un témoignage au titre empreint de fierté C’étaient eux les Héros ( Ed. Houma – 2002 ), son auteur Mustapha Benamar, livre un récit de guerre poignant et narrant des épisodes restés jusque-là obscurs tel "les défections de Belhadj et la sédition de Bellounis…". Hamoud Chaid dans Sans haine ni passion ( Ed. Enag – Dahlab – 3ème édition 2005) dilue son propre témoignage dans le discours idéologique sur l’explicitation de la guerre de libération. M. Madaci dans Les tamiseurs de sable raconte les maquis de l’Aurès. Les événements rapportés dans ce livre partent du 1er novembre 1954 jusqu’au printemps de l’année 1959. L’auteur passe presque au peigne fin les détails de certains événements saillants dans les zones de la région des Aurès.
A travers ce générique des publications de témoignages écrits sur la guerre de libération, se dessine une tendance de l’écriture de l’histoire : échapper au discours généraliste, au dogme idéologique pour entrer de plain-pied dans la complexité de la réalité. Cette démythification est remarquable dans tous les ouvrages publiés ces dernières années. Leurs auteurs respectifs ne débordent pas de la période historique. Ils n’encombrent pas leurs mémoires de discours politiques ou moralisateurs sur le sens de leur combat. Dans les nombreux entretiens qu’ils ont accordés à la presse écrite, orale ou audiovisuelle, ils insistent sur le fait qu’ils ont écrit pour faire connaître la réalité de leurs années de maquis, dire les choses comme elles étaient, comme ils les avaient connues, vécues. Ils insistent également sur l’urgence qu’il y a à révéler un certain nombre de vérités restées longtemps déformées ou occultées. Ils ont conscience que leurs livres serviront de matériau sûr aux historiens…

Rachid Mokhtari

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