Lettre programme à tous ceux qui ont à cœur de sauver l’Algérie
La nation est en danger. Le pays est à la dérive sous l’effet de l’accumulation d’un certain nombre de maux qui s’autoalimentent mutuellement, rendant inévitables l’explosion sociale et l’installation de la violence comme seul moyen de règlement des conflits entre individus, entre groupes d’individus et entre groupes d’individus et le pouvoir.
Attention ce que j’exprime n’est pas mon espoir, mais des prévisions avec beaucoup de fiabilité que confirment, d’ailleurs, les événements intervenus dans la région durant cette année 2011. Sans être exhaustif, les principaux maux dont souffre l’Algérie sont :
La perte de la morale collective
Le changement signifie le lancement d’un programme ambitieux d’éducation citoyenne pour passer à une société qui repose sur des lois et des règles saines, où les individus se font confiance lorsqu’ils inter-agissent, où la bonne éducation et le travail sont des atouts de la réussite sociale et individuelle, où la justice prévaut et où la malhonnêteté, le vice et la brutalité sont proscrits comme mode de progression dans la sphère publique et dénoncés et combattus dans la sphère privée.
La généralisation de la corruption à tous les secteurs d’activité
Le changement signifie l’installation d’un nouveau système de transparence dans la gestion des affaires publiques. Le système sera mis en place graduellement avec le souci maximum de pédagogie pour permettre à tous de s’y adapter progressivement et à s’y conformer au-delà d’une période de grâce suffisante. Ce n’est qu’après la période de grâce, clairement affichée, que des institutions performantes et non des individus, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie de la nouvelle gouvernance mettront un terme aux défaillances de ceux qui refusent de se conformer aux nouvelles règles de transparence dans la gestion des affaires. La garantie du traitement équitable sera assurée pour tous, dans le seul respect de la loi.
La pauvreté
Le changement signifie la mise en place d’une véritable politique sociale moderne à même de mobiliser tous les citoyens autour d’une approche axée sur la lutte contre la pauvreté, la préservation de l’environnement et la justice sociale. Cette politique sociale n’est pas la charité, elle consiste en une stratégie globale contre la marginalisation en encourageant la participation des pauvres à l’essor économique. Elle passe par un investissement massif dans la santé, l’éducation, les autres services sociaux afin de libérer le gisement de créativité et de participation économique de nos concitoyens complètement marginalisés aujourd’hui.
La pénurie prévisible des ressources naturelles non renouvelables que sont les hydrocarbures
Le changement c’est une économie compétitive qui assure la protection des individus et un développement individuel et collectif harmonieux. Le programme de mise en œuvre de cette économie s’appuiera sur une politique rigoureuse et efficace de transformation du capital naturel non renouvelable (les hydrocarbures) en un capital humain générateur de flux de revenus stables et durables. Cette politique comprend notamment la réallocation d’une partie significative des investissements excessifs actuels dans les infrastructures vers des investissements ciblés dans le secteur productif de biens et de services, mais surtout des investissements de plusieurs milliards de dollars dans les ressources humaines (éducation, savoir, compétences…), afin de promouvoir une génération d’entrepreneurs possédant la capacité de leadership, la moralité, l’intelligence et le jugement, et de former des cadres gestionnaires à tous les niveaux dans les entreprises et l’administration. La relève des cadres dirigeants partant à la retraite doit être assurée en urgence par le biais d’ambitieux programmes de formation et de promotion de la relève pour compenser la trêve remarquée pendant deux décennies dans la formation des cadres. Cette politique a été suivie avec succès dans les pays émergents qui ont connu cette phase de développement, la Chine notamment. C’est aussi la constitutionnalisation de l’utilisation des réserves d’hydrocarbures. Je le répète aujourd’hui, il faut bien considérer que chaque baril ponctionné sur les réserves non renouvelables est, au départ, une perte pour la nation. Une fois qu’il sort du sous-sol, il ne fait plus partie du patrimoine des générations futures.
La dérive d’un Etat défaillant vers un Etat déliquescent
Le changement, c’est la mise en place d’un système de gouvernance dans lequel les citoyens puissent s’exprimer et sanctionner, c’est-à-dire, où les citoyens ont les moyens d’exiger des comptes de la part de leurs gouvernants et d’en recevoir effectivement. L’année 2011 verra, je l’espère, tous les citoyens algériens prendre conscience que notre salut en tant qu’Etat et nation ne peut venir que d’un système démocratique et d’une forte participation citoyenne aux prises de décision, à tous les niveaux.
L’isolement diplomatique dans un monde de plus en plus globalisé, d’une Algérie dépassée et marginalisée, en queue des classements internationaux dans tous les domaines
Le changement, c’est une nation sûre de ses atouts et capable de défendre ses intérêts bien exprimés, bien compris et bien intériorisés dans la course mondiale actuelle. Aujourd’hui, la puissance d’une nation se mesure par sa capacité d’innovation et la qualité de son système éducatif et de son système de formation de managers. A ce titre, l’on peut considérer que les expériences menées, ces vingt dernières années par des nations comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, véritables pays continents, dessinent des perspectives de développement dans d’autres parties du monde, à travers des groupements sous-régionaux tels que le Maghreb. Celui-ci, en raison de son appartenance à une culture et à une civilisation communes à l’ensemble des populations qui le composent, peut s’ouvrir globalement sur le monde en cultivant une relation homogène avec les autres pays, au sein d’une organisation adéquate que nous nous appliquons à mettre sur pied. Par ailleurs, notre orientation maghrébine sahélienne nous offre des opportunités et nous impose des obligations.
Le risque de dislocation de la nation et le partage du territoire
Des forces significatives appellent de plus en plus ouvertement à l’autonomie de certaines régions, voire le partage du territoire. Il faut s’en inquiéter sérieusement. La situation de non-gouvernance actuelle conforte la forte probabilité de vivre en même temps la violence sociale et la violence terroriste. C’est alors la trappe de misère permanente et la porte ouverte à la dislocation de l’unité nationale et le danger sur l’unité du territoire. Dans le cas de l’Algérie, et dans l’état actuel des choses, cela interviendra avec la baisse sensible des capacités d’exportation d’hydrocarbures que je situe entre 2018 et 2020. Mais avec le mélange détonant de pauvreté, de chômage chez les jeunes, de corruption généralisée et de perte de la morale collective, elle peut intervenir à n’importe quel moment. Le changement, c’est la mise en place d’une période de transition pour la sauvegarde de la nation et la préservation des intérêts des générations futures. Ce sont là les sept programmes d’urgence sur lesquels doit se construire le changement. De même que les trois dossiers fondamentaux : la refondation de l’école, la refondation de l’Etat, la refondation de l’économie. Si le changement de tout le système de gouvernance est sollicité par la grande majorité des forces vives, comment le réaliser ? Avec l’expérience tunisienne et égyptienne, nous avons le mode opératoire du départ des symboles du pouvoir, notamment le chef d’Etat. Il s’agit de quatre leçons qui définissent quatre hypothèses de travail solides parce que construites à partir d’expériences vécues, à savoir, la capacité des citoyens à changer le régime, les pressions multiformes exercées sur les tenants du pouvoir, la neutralité positive sinon encourageante des forces armées et des forces de l’ordre et l’accès facile aux instruments nouveaux de mobilisation, nous savons la voie à suivre pour assurer le départ des symboles du pouvoir. Nous avons le mode opératoire pour faire partir les premiers responsables du régime actuel. C’est certes, une condition nécessaire, mais elle est loin d’être suffisante pour réaliser le changement.
Alors, une fois le départ des chefs réussi, comment faire pour réaliser le changement ?
En réalité, le changement se fera en deux étapes : celle du départ des symboles du pouvoir en place qui se réalise dans la mobilisation des masses et particulièrement la jeunesse, celle de la réalisation du changement qui nécessite la mobilisation des compétences nationales en symbiose avec les forces de la première phase. Dans cette deuxième étape, la réussite du changement passe par la mise en place d’une période de transition et de sauvegarde selon le programme suivant.
1- Organiser une conférence nationale pour le changement composée des éléments du pouvoir capables de saisir l’opportunité de leur propre sauvegarde et celle du pays, d’un côté, et des personnalités ayant une présence de caution au sein de la société et disposant d’une respectabilité, de l’autre, pour le choix d’un Haut conseil de l’endiguement de la crise (HCEC), composé de 5 à 6 personnes, avec pour mission en trois mois :
D’élaborer une feuille de route pour l’endiguement de la crise et la préparation du changement du système de gouvernance ; lancer un grand programme de communication pour expliquer la mission du HCEG avec l’ouverture d’un débat à toutes les composantes de la société. Ce programme de communication n’aura de crédibilité que s’il est précédé de la levée effective et non cosmétique de l’état d’urgence, l’autorisation de création de partis politiques nouveaux pour l’implication de la jeunesse dans le travail politique et l’ouverture du champ médiatique avec la possibilité de création de nouvelles chaînes de télévision et de radio en dehors du contrôle du pouvoir ; sélectionner et préparer à la nomination les membres d’un gouvernement pour l’endiguement de la crise (GEC) qui aura pour mission la mise en œuvre des feuilles de route établies par le HCEC et la préparation du changement sur une période de 12 mois.
A la fin de la période de trois mois, interviendra la nomination du gouvernement GEC avec des missions rigoureusement consignées dans des feuilles de route pour chaque secteur, et bien entendu, les sept programmes ainsi que les trois grands dossiers déjà présentés plus haut. Il aura à préparer pour la fin de la période de sa mission, un référendum sur la Constitution, des élections présidentielles anticipées et des élections législatives. Les membres du HCEC auront pour mission durant ces douze mois, la mise en place d’un système de contrôle de la réalisation des missions confiées au gouvernement GEC. De même, la continuation des débats et des consultations avec toutes les catégories de la population pour la rédaction d’un projet de révision de la Constitution qui sera soumis à référendum à la fin de la période de douze mois.
Aux tenants du pouvoir, il faut dire :
- Le train du changement est en marche ; le freiner ou le retarder ne fera qu’aggraver la situation et en premier lieu votre propre salut ;
- le choix est évident : anticiper la catastrophe ou la subir ;
- la rente est un moyen de se maintenir au pouvoir qui deviendra bientôt l’accélérateur de sa destruction ;
- vous devez reconsidérer tout le problème du changement à la lumière des derniers événements dans la région et ainsi préparer une sortie honorable ;
- depuis le début de 2011, bien des choses ont changé et le monde est de plus en plus en éveil ; la peur est passée du côté des citoyens vers celui des autocrates ;
- les réformes qui n’ont pas été réalisées en douze ans d’exercice du pouvoir le seront-elles en quelques mois ?
- Mais quel est l’homme d’Etat au pouvoir qui est capable de faire entendre raison aux autocrates et leur faire comprendre et accepter la nécessité du changement ?
Aux forces du changement, il faut dire :
Bien que convaincus de l’inéluctabilité du changement, les tenants du pouvoir, ne veulent pas, n’osent pas ou n’ont pas la force morale pour affronter les intérêts puissants qui s’accommodent du statut quo, derrière les rideaux ; entre un pouvoir autiste et fermé à toutes les revendications et des forces vives de la nation décidées à défendre leurs droits à la liberté, le choc est inévitable ; le pouvoir s’imagine que par la dilapidation des ressources financières, la corruption et une répression mieux organisée, il peut s’assurer des allégeances et acheter la paix sociale ; il est fort probable que si les autocrates ne se ressaisissent pas à temps pour prendre les devants et rechercher avec les forces du changement, des compromis honnêtes et sérieux que nécessitent les circonstances et que commandent les intérêts partagés, la jeunesse maltraitée, humiliée, menacée de perdre son âme, embrase tout le pays, à l’image des incidents du début de cette année 2011 ; les autocrates semblent vouloir vendre l’idée que l’Algérie est différente des autres pays de la région et que ces revendications répétées ne sont que des remous passagers. Alors en gagnant du temps, ils pourront conserver toutes leurs positions. C’est le sens qu’il faut donner au dernier discours du président de la République ; hier la lutte pour l’indépendance s’est appuyée sur le nationalisme au niveau local et sur la décolonisation au niveau international, aujourd’hui, la lutte pour la libération de l’individu s’appuie sur la citoyenneté au niveau local et sur les droits universels à la liberté et à l’émancipation au niveau international. Les temps, les espaces, les environnements sont différents mais les processus sont les mêmes. Hier, c’était la lutte armée pour chasser l’occupant sourd à toute idée de négociation ; aujourd’hui, c’est le combat citoyen pour changer le système autocrate, répressif, sourd à toute idée de dialogue, par une mobilisation pacifique qui s’exprime dans les marches, les rassemblements, les manifestations et les grèves.
J’appelle tous ceux qui ont à cœur de sauver l’Algérie, quels que soient la position et le lieu où ils se trouvent, quelle que soit l’institution à laquelle ils appartiennent, à se mobiliser, réunir leurs forces pour la réalisation des objectifs tracés dans cette lettre programme dans les plus brefs délais. Nous sommes déterminés à aller dans cette direction, d’autant plus courageusement que le peuple ne croit plus en la sincérité des systèmes de pouvoirs actuels et réaffirme sa conviction que l’heure des réformes de façade est largement dépassée. Plus que jamais, le peuple exige le changement et veut éradiquer les stigmates des malheurs qu’il a endurés. De fait, tout est déjà en place pour assurer la fin de partie pour les gouvernants reniés par leurs peuples. La suite des événements pourra alors s’envisager dans un esprit nouveau, d’ouverture, de justice et de sagesse.
Une transition sera instaurée, comme diverses personnalités n’ont pas manqué d’y faire référence. L’heure est certainement grave. Cependant, le peuple algérien, comme il l’a déjà démontré, saura y faire face. Il saura surmonter toutes les épreuves et vivre sa modernité dans la sérénité et la liberté ! «Et qui est atteint par l’injustice, riposte.» Coran 39-42.
Dr Ahmed Benbitour
Commentaires (44) | Réagir ?
Bonjour,
Je lis vos commentaires avec autant (voit plus) d'intérêt que l'article lui même. Tout d'abord, M. Kacem Madani, je suis assez d'accord avec vous, dans le sens ou l'on ne peut continuer à se cacher indéfiniment derrière la religion (d'ailleurs, en Algérie, on a souvent l'impression que c'est pour "faire bien"). Il y'a un vrai problème là dessus, Il faut oublier le panarabisme et rendre aux Algériens leur identité vraie. Nous ne sommes pas des arabes d'Arabie Saoudite, non?!
Par contre, la où je suis moins d'accord, c'est par rapport à la citation du Coran dans le discours de M. Benbitour.
Comment, M. Kacem Madani, auriez vous réagis si à la fin de ce discours il y avait :
«Et qui est atteint par l’injustice, riposte. » Ghandi (ou autre).
C'est une belle phrase, qui a du sens, peut importe d'ou elle vient.
Il ne faut pas oublier qu'avant d'être "politique", l'islam est une source spirituelle et philosophique personnelle, comme une autre. Son détournement n'est que le résultat des personnes.
Bonne soirée.
Faudrait avant de faire haro sur Kacem, songer à soigner son propre style... Par exemple s'assurer que nos phrases ont un sens. C’est le minimum dû au lecteur et à la langue qu'on utilise. Il ne s'agit pas d'avoir la plume d'un Benchicou, soyons tranquille. Mais simplement d'être intelligible. Kacem écrit rarement n'importe quoi et jamais on ne l'a vu s'en prendre à ses compatriotes qu'il dépeint, la plupart du temps, avec beaucoup de tendresse et de chaleur (certains devraient se relire) …De plus ses interventions sont le plus souvent pleines d’esprit, d’intelligence et remarquablement documentées…Je lui dis :Merci d’exister.