Kadhafi : le crépuscule d’un despote
Tout avait commencé quand Mouammar Kadhafi avait déclaré en février pendant le printemps du Jasmin que «la Tunisie n’avait jamais eu un président meilleur que Zine El Abidine Ben Ali». L'autocrate était sûr de son pouvoir. Mais contre toute attente, la révolte couvait en Cyrénaïque. Le « guide » libyen, lui, ne voyait que du feu.
Mi-février, la révolte brasille à Benghazi et les environs. L’armée sort ses blindés et tire sur les manifestants. L’irréparable est commis. La révolution est en marche. Depuis, il y a eu des milliers de morts. Ironie de l’histoire, à quelques jours de la date anniversaire, de sa prise de pouvoir un certain 9 septembre 1969, Mouammar Kadhafi vit ses dernières heures, voire heures à la tête de la Libye. Retour en arrière.
Tout a commencé dans la nuit le 9 septembre 1969. Le vieux roi Idriss Senoussi est à l’étranger. Profitant de son absence, un groupe d’"officiers libres" prend le pouvoir et crée le Conseil de commandement de la révolution. Le roi ne revient plus jamais en Libye. Parmi les officiers du Conseil de commandement figure un officier Mouammar Kadhafi qui dans la nuit même du coup d’Etat s’autoproclame colonel.
Dès le début, le putschiste de 27 ans déroutait. Admirateur de Gamal Abdenasser, le jeune colonel est nassérien, arabiste, socialiste à l’occasion et islamiste à certains égard. La Libye passe donc de la monarchie senoussienne à un type de république à la Nasser, difficile à définir. Sans plus tarder, il acquière de la France une première livraison de 82 Mirage F1. Le colonel a compris l’adage : qui veut la paix prépare la guerre. Une union est tentée avec l’Egypte, le Soudan, et la Syrie, comme quelques années plus tard avec la Tunisie. Mais aucune n’aboutit.
En mars 1970, les bases britanniques de Tobrouk et d’El Aden sont évacuées, 15000 Italiens sont expulsés, leurs biens confisqués. Les juifs libyens connaissent le même sort. Rien ne semble l’arrêter. En 1973, il nationalise le pétrole libyen. Erratique, Mouammar Kadhafi se voit en leader du monde arabe. Pas pour longtemps. Fantasque, instable dans ses alliances, impulsif, il se détourne de l’espace arabe vers l’Afrique. Il intervient en Ouganda et au Tchad voisin dont il fera son terrain de jeu. Il rompt avec le Fatah palestinien qu’il ne tient pas en estime. En 1977, il proclame la création de la Jamahirya arabe libyenne, une improbable république des masses populaires qui n’avait de république et de populaire que le nom. Personne n’est dupe, froid, impitoyable Kadhafi tient le pays d’une main de fer.
Expansionniste patenté, il revendique au Tchad la bande d’Aouzou, riche en uranium. En 1983, il intervient encore militairement dans ce pays pauvre. L’armée française le stoppe dans son avancée, il signe avec elle un accord. Une année plus tard, il rompt ses relations avec la Grande Bretagne. En représailles à des attentats terroristes (Rome et Vienne, entre autres) qu’avait financés Kadhafi, l’armée américaine lance un raid sur Tripoli et Benghazi en avril 1985. A partir de 1989 et la naissance de l’Union du Maghreb arabe, Mouammar Kadhafi entame un rapprochement avec Alger.
Mais Kadhafi est toujours obsédé par ses démons. Il téléguide deux attentats. Celui de la Pan Am qui a explosé le 21 décembre 1988 à Lockerbie, Ecosse (270 morts). Et le 19 septembre 1989 l’explosion du DC 10 de la compagnie américaine UTA dans le désert du Ténéré, en représailles à l’intervention française au Tchad. Bilan : 170 morts. Deux attentats dont il a largement rétribué les familles de victimes par le truchement de la fondation Kadhafi pour les droits de l’homme, dirigée par son fils Seif El Islam.
Mouammar Kadhafi c’est aussi des liquidations ciblées d’opposants libyens ou ceux de pays "amis". Dès les années 1970, il est derrière les assassinats d’Abdel Khalek Mahjoub, un leader du Parti communiste soudanais et surtout de l’imam Moussa Sadr. Plus tard, il fera disparaître en 1983 au Caire, Mansour Kikhiya, ancien ministre des Affaires étrangères. Deux opposants libyens, Izzat Youssef Al Maqrif et Jaballah Mater, disparaitront aussi au Caire en mars 1990.
Le fringant colonel de 1969 est devenu paranoïaque ; il se garde de ses anciens amis. D’ailleurs rares ceux qui lui sont restés fidèles. Hormis l’inamovible Abdellah Senoussi, chef des renseignements, tous les autres ont quitté le pouvoir. Abdel mounim Al Houni, l’un des rares anciens compagnons l’a abandonné et dénoncé les abus de son compagnon. Certains ont rapidement rejoint la rébellion. Ce sont les enfants Kadhafi qui ont pris le contrôle des plus importantes unités de l'armée.
Rappels nécessaires des compromissions
Au lendemain de la levée du blocus en 1999, Mouammar Kadhafi a tenté d’opérer une relative normalisation de ses relations avec l’Occident. Mais le l’homme est ingérable, imprévisible. Ses rodomontades sont légendaires et lubies fantasques. Avec Kadhafi, l’esclandre n’est jamais loin. Et l’imposture une seconde nature. Sa visite, en décembre 2007, en France restera dans les annales du quinquennat du président Nicolas Sarkozy qui lui a déroulé le tapis rouge. Les promesses de contrats à 10 milliards de dollars sont devenues d’insignifiants engagements de quelques centaines de millions. Sarkozy avait bien tenté de lui vendre les fameux avions Rafale que fabrique son ami sénateur Serge Dassault, mais le "guide" libyen n’en a pas voulu. Heureusement, autrement ces avions de dernières générations auraient fait des ravages dans les rangs des rebelles du CNT mais aussi de l’Otan.
A ce propos, il est à poser la question, si l’empressement du président français à soutenir la rébellion du CNT et à jouer de son influence pour amener le Conseil de sécurité a voter la résolution 1973 ne constitue pas une revanche contre les déconvenues que lui a fait subir le "guide" libyen.
La France n’est pas la seule à lorgner sur le pétrole libyen. L’Europe entière rêvait de contrats et voulaient lui vendre des armes. En l’espèce le chef de gouvernement italien, Silvio Berlusconi a fait mieux que tout le monde. Avec la bénédiction de l’Union européenne, il a chargé les troupes de Mouammar Kadhafi de jouer les gardes-côtes pour protéger l’Europe des bateaux de migrants africains. A ce propos, des milliers de jeunes Africains ont été emprisonnés dans des camps de rétention en Libye pendant des mois, voire des années. On n’évoquera pas ici les violations des droits de l’homme dont sont victimes ces migrants. Les viols systématiques de femmes, le passage à tabac, étaient connus de l’UE. Mais qu’importe ! Pourvu que « les hordes d’Africains » n’arrivent pas sur ses côtes. Certes il a été dénoncé par les organisations de défense des droits de l’homme, mais il a toujours bénéficié du silence de l’Europe, voire son approbation à certains égards.
Seulement les peuples de la rive Sud de la Méditerranée ont décidé de prendre leur destin en main. En plein hiver de 2011, le "printemps arabe" est passé par là. Il déjà balayé Hosni Moubarak, Zine El Abidine Ben Ali. Deux potentats notoires qui bénéficiaient du soutien de l’Occident sous le falacieux prétexte qu'ils étaient des remparts à l'islamisme. L’heure de Mouammar Kadhafi est arrivée. Et personne ne regrettera sa disparition à l'intérieur comme à l'extérieur. Le changement politique est désormais irréversible en Libye.
Sofiane Ayache
Sources : Kadhafi portrait total de René Naba
Le Grand Maghreb de Paul Balta
Commentaires (8) | Réagir ?
A qui le tour mintenant. Ces despotes croient dur comme fer qu'avec leur chars ils vont faire taire le peuple. Mais un peuple qui est prêt à mourir n'a pas peur des escadrons de la mort.
Cher ami Ferhat Ait Ali, il n'est pas seul à vivre ses derniers moments de dictature. Notre potentat d'El Mouradia doit être dans ses petits souliers de même que ses sbires. Tu sais cher ami la peur au ventre ça fait mal eh bien ils ont la peur au ventre........ Allez au suivant et vive la liberté.