Le scientifique Alain Froment souhaite la restitution des crânes de héros algériens
Dans le numéro de juin 2011 de Sciences et Avenir, Alain Froment, directeur scientifique, évoque les crânes des héros algériens gardés au Musée de l’Homme. Extrait.
La renommée des collections d’anthropologie du Musée de l’Homme est mondiale : avec ses 30 000 pièces, il s’agit de l’une des plus riches de par sa diversité. Entre autres trésors, elle recèle 1.000 bustes ethnographiques ou masques au vif ou mortuaires de criminels ou de célébrités, 80 momies, 348 squelettes, 18.000 crânes et 600 pièces fossiles originales. En attendant la réouverture du Musée de l’Homme (prévue pour 2012), elle est provisoirement abritée rue Buffon dans le 5e arrondissement, dans une annexe du Muséum d’histoire naturelle.
Une armoire forte pour la famille Cro-Magnon
De banales armoires fortes à combinaisons recèlent des trésors patrimoniaux. Philippe Mennecier, gardien des clefs et des combinaisons, nous ouvre la porte de l’armoire n°7, qui concentre des pièces mythiques du sud-ouest et du sud de la France. On y trouve les restes du Néandertalien de la Chapelle aux Saints (Corrèze) (entre -40.000 et -60.000 ans), décrit comme une brute par Marcellin Boulle avant d’être réhabilité par le paléontologue Jean-Louis Heim : l’individu, handicapé, soutenu par les siens, avait été enterré. L’armoire abrite également les restes de 17 individus exhumés à la Ferrassie, près des Eyzies (Dordogne) ou ceux de l’enfant de Pech de l’Azé.
Une nécropole sécurisée pour nains, géants et trépanés
Dans une autre pièce sécurisée, 348 squelettes sont suspendus, 18 000 crânes alignés sur des étagères. Une ambiance de nécropole, à la fois paisible et proprette règne sur la collection historique d’ostéologie, principalement assemblée depuis le 19ème siècle par des médecins, des explorateurs, des anthropologues. «Nous gardons à l’esprit que ce sont des restes humains que nous conservons et qu’ils méritent un certain respect» assure Philippe Mennecier, qui a fait faire des boîtes non acides, vitrées, pour chacun des crânes dûment étiqueté. La collection compte nombre de spécimens accidentés, pathologiques ou hors normes : des guillotinés, des trépanés, des hommes à la tête réduite ou au crâne gravé, sur-modelé, mais aussi des rachitiques, des syphilitiques, des géants, des nains… Comme Bébé (1741-1764), qui fut le bouffon de cour de Stanislas Leczinski à Lunéville (Lorraine). Le squelette du petit homme a connu un regain d’intérêt avec la découverte de l’Homme de Florès en Indonésie en 2007. De nombreux chercheurs sont venus l’étudier et le comparer à l’homme fossile alors que la polémique faisait rage : l’homme de Florès était-il un pygmée microcéphale de l’espèce Homo sapiens ?
Vers la restitution de crânes de héros algériens ?
En raison du respect dû aux restes humains, l'accès aux collections ostéologiques est réservé aux chercheurs présentant des projets de recherche agréés et aux représentants des pays étrangers autorisés par l'État. Mais certaines pièces sont devenues embarrassantes. «Depuis l’affaire de la Vénus Hottentot, Saartjie Baartman, dont la dépouille a été rendue à l’Afrique du sud en 2002, les demandes de restitution se multiplient», convient Alain Froment. La prochaine en date pourrait venir d’Algérie.
L’historien Farid Belkadi, spécialiste de l’histoire antique mais aussi féru de la période coloniale, a découvert en mai dernier que les têtes de plusieurs chefs de l’insurrection algérienne de la fin du 19eme siècle étaient alignées sur les rayonnages du Muséum. Parmi ces résistants à la colonisation française, les héros Chérif Boubaghla (mort en 1854) et Cheikh Bouziane, artisan de la révolte des Zaâtchas (exécuté en 1849 et dont la tête fut exposée pour l’exemple). Les archives du Muséum ont révélé qu’il s’agissait de dons de médecins militaires. «Rien n’empêcherait le rapatriement de ces restes mortuaires. Mais il faut que la partie algérienne en formule la demande» conviennent Philippe Mennecier et Alain Froment, qui plaident pour des restitutions dans la dignité, mais au cas par cas, «afin de ne pas dépareiller une collection utile à l’étude de la diversité humaine.» «Ces donations font aujourd’hui partie du patrimoine national français » rappellent-ils. Et seul un accord entre l’Etat algérien et l’Etat français permettrait le retour des insurgés dans leur pays.
Rachel Mulot
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