DEBAT : De la graphie arabe pour tamazight ?
Par : Djaafar Messaoudi
Dans l'édition du Soir d'Algérie du lundi 16 août 2010, monsieur Lahouari Addi a dit, en parlant de tamazight (*), que « Son avenir se joue dans sa formalisation en langue écrite avec l’alphabet arabe », se positionnant ainsi à côté des islamo-arabistes [1] qui n’ont jamais cessé d’exercer de la pression afin d’amener l’État algérien à officialiser un système que ni les vrais praticiens de la langue amazighe, ni les linguistes berbérisants n’ont choisi et ce pour des raisons que nous allons exposer ci-dessous.
L’inadaptabilité du système d’écriture arabe à tamazight :
Le système phonologique de la langue amazighe contient des oppositions impossibles à représenter par le système d’écriture arabe. À titre d’exemple, comment représenter avec les caractères arabes ce qui signifie en tamazight « j’ai laissé » / « j’ai guéri », « elle a planté » / « elle a grillé », « tu as rassasié » / « tu as troublé » ? En caractères purement arabes, on écrira respectivement : « اجيغ » / « اجيغ », « ثزا » / « ثزا », « ثرويض » / « ثرويض ». L’on voit bien que les énoncés données en paires sont écrites sans distinction aucune, ce qui provoque de l’ambiguïté. Certains diront qu’on peut modifier les caractères arabes d’une façon à les rendre adaptés au système phonologique amazigh, comme cela s’est déjà fait pour certaines langues indo-européennes comme le kurde, le persan, etc. Sachant que les caractères arabes sont déjà chargés de signes diacritiques, tout ce que l’on y rajoute ne sera qu’une charge de plus qui rendra lesdits caractères très lourds et surtout inesthétiques, voire illisibles sous une forme réduite de l’écriture. Pour ceux qui s’appuient sur l’argument selon lequel les Kurdes, les Perses, les Pakistanais, etc., ont adopté l’alphabet arabe modifié sans problème, la réponse est que les systèmes phonologiques de ces langues sont dépourvus de phonèmes emphatiques et de certaines affriquées qui posent problème dans la tentative d’adapter l’alphabet arabe à tamazight.
Contrairement aux caractères arabes, les caractères gréco-latins sont légers en ce sens qu’ils ne contiennent pas de signes diacritiques, ce qui les rend facilement modifiables et sans créer des lettres lourdes, moches et illisibles et surtout sans risque d’ambigüité. Cela est observable dans des énoncés comme celles données plus haut, regardez: « ǧǧiγ » / « jjiγ », « yeẓẓa » / « yezza », « teṛwiḍ » / « terwiḍ ».
En plus de cela, ne représentant pas les voyelles graphiquement et ne démarquant pas avec précision les limites des mots, le système d’écriture arabe adapté à tamazight engendrerait de nombreux faux homographes et / ou faux homophones que même le contexte ne pourrait parfois éclaircir, à côté de nombreux mots difficilement identifiables. À titre d’exemple, comment écrire sans confusion, en caractères arabes, les mots et la phrase qui signifient en kabyle « écrire / enfanter », « il lui a entièrement troublé le cerveau avec de mauvaises idées » ? Pour les deux premiers mots, vous obtiendrez deux formes similaires donc ambigües; pour la phrase, vous obtiendrez tantôt une succession de fragments de mots mêlés à leurs affixes, en raison de la cursivité très imparfaite de la graphie arabe, et tantôt une agglutination de plusieurs mots, ce qui rend ceux-ci difficilement identifiables dans la chaîne parlée et le lecteur, même le plus averti, ne peut alors qu’être égaré. [2]
L’ancienneté de la tradition d’écriture en caractères gréco-latins :
L’usage du système d’écriture à base latine remonte à plus de 150 ans. Depuis les premières années de l'invasion française de l'Afrique du Nord, des sociologues et des linguistes venus d'Europe et travaillant sous les ordres des autorités militaires, sillonnaient les territoires berbérophones dans le but de connaître la société et la langue amazighes pour mieux maîtriser les Berbères qui leur montrèrent une farouche résistance. Comme résultat des missions effectuées par ces Européen-là, beaucoup d’ouvrages (recueils de textes en berbère, manuels de grammaire, dictionnaires bilingues) transcrits en alphabet latin modifié, virent le jour.
Après l'indépendance, des intellectuels kabyles - tous francophones - prirent la relève et se lancèrent dans l'écriture en leur langue en utilisant des caractères latins ou gréco-latins. Et au fur et à mesure de la pratique, le système s’améliorait jusqu’à devenir de nos jours très homogène, du moins parmi les praticiens kabyles. Pour cette raison, et de surplus en raison de l'absence sur le terrain de tout autre système d’écriture concurrent sérieux [3], le système à base gréco-latine s'impose par lui-même. Il va de soi que le choix de tout autre système signifierait un retour en arrière de plus d’un siècle et demi.
Telles sont donc, monsieur Addi, les raisons pour lesquelles l’avenir de tamazight ne pourra jamais se jouer dans sa formalisation en langue écrite avec l’alphabet arabe. Le choix du système d’écriture gréco-latin ne nous a été dicté ni par la francophilie, ni par l’arabophobie. C’est un choix basé sur la continuité d’une tradition ; c’est un choix basé sur plusieurs études linguistiques et soutenu par la pratique des locuteurs de tamazight. Vous n’avez qu’à faire un tour dans les bibliothèques et les librairies pour re-constater cette réalité que vous voulez à tout prix dissimuler aux Algériens pour des considérations idéologiques. Et puis d’autres peuples musulmans, comme la Turquie, la Bosnie et l’Indonésie ne nous ont-ils pas précédé dans l’adoption de ce système universel que l'on ressort à chaque fois comme une preuve de notre haine pour tout ce qui est arabe ?
D.M.
(*) Article de Lahouari Addi :
(http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/08/16/article.php?sid=104617&cid=41)
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1) La position de Addi n’est donc pas différente de celle de certains islamo-arabistes qui, à défaut de ne plus pouvoir empêcher l’émergence de tamazight écrite en Algérie en raison des pressions des mouvements berbéristes, veulent entraver son développement avec un système graphique archaïque et inadaptable. En 1989 déjà, des djaballah et des Chadli ont déclaré hypocritement que « nous ne sommes pas contre tamazight, mais qu’elle soit écrite en arabe », la raison selon eux étant que « nous sommes des berbères arabisés par l’islam » !
2) Le problème avec la graphie arabe ne se limite pas uniquement à l’écriture cursive, mais s’étend également au script qui est généralement produit avec une machine. Ainsi, les mots et la phrase susmentionnés seront écrits approximativement de la manière suivante : «أرو / أرو », « يروياس أك ألاغيس سير ثكثوين». Or, de tels problèmes ne se posent pas avec la graphie gréco-latine, observez : « aru / arew », « yerwi-as akk allaγ-is s yir tiktiwin ».
L’usage actuel par l’État algérien de graphie arabe sur la chaîne « amazighe » TV-4 n’est fondé sur aucune étude et n’est guidé par aucune norme. Cette graphie ne peut être considérée comme une concurrente de la graphie gréco-latine et l’initiative des autorités algériennes n’est destinée que pour semer la zizanie entre les usagers de tamazight dans l’espoir de retarder encore le développement de celle-ci.
Commentaires (115) | Réagir ?
La majorité des élites arabes algériennes (arabisants ou francisants) pètent les plombs, perdent la raison et toute logique dès qu'ils s'agit de la quetion kabyle. Les mots "autonomie" peuple kabyle, langue kabyle les rendent fous!Ils sont incapables d'avoir la moindre sympathie à l'égard des revendications légitmes du peuple kabyle qui est soumis à une politique criminelle de dépersonnalisation de l'état central arabo-intégriste depuis
1962. Hostiles aux luttes des kabyles, aliénés à l'idéologie arabo-intégristes du pouvoir, ayant renoncé à leur langue maternelle (l'arabe parlé) ils veulent IMPOSER leur aliénation au peuple kabyle qu'il ne reconnaisse mème pas en tant que tel, pratiquant le négationnisme éhonté!
Avec de telles élites, des élites en carton, le régime deéspotique en place a encore de beaux jours devant lui !
Vivement la Kabylie libre, laique et démocratique.
Je serai pour que le tamazight soit écrit ou transcrit en graphie arabe lorsqu'il y aura un internet pur arabe et que les Etats arabes produiront des pc, des logiciels a gogo en arabe et que les grands centres de recherches du monde et les chercheurs se serviront de l'arabe. Mais tant que cela reste dans le domaine des Meddahhates, alors je dis NON, NON et NON.
Une Graphie latine et la plus simplifiée possible cotoyant tres étroitement la langue de Chikh Sbir (Shakespeare).