Quand la religion dicte la loi, la vie publique se sclérose
L’essayiste algérienne Djemila Benhabib s’élève contre l’islam politique, porté par une minorité de musulmans.
Née en Ukraine en 1972 d’une mère chypriote grecque et d’un père algérien, Djemila Benbabib a grandi à Oran, en Algérie. Condamnée à mort par les islamistes, sa famille, engagée dans les luttes politiques et sociales, se réfugie en France en 1994. Trois ans plus tard, elle s’installe, seule, au Québec, où son livre Ma vie à contre-Coran rencontre un franc succès. L’ouvrage va paraître le 15 octobre en France.
Quelle a été votre motivation première en écrivant ce livre ? Est-ce parce qu’il fallait que d’autres voix de culture musulmane que celle des islamistes se fassent entendre ?
Djemila Benhabib. Il arrive des événements dans la vie qui vous font sentir votre responsabilité particulière dans le débat qui transcende votre société. On en arrive finalement à cette question philosophique : pourquoi est-ce que j’existe ? Je ne pouvais continuer à exister sans prendre part, d’une façon active, à ce qui se déroulait autour de moi. Bien sûr, j’aurais pu choisir de m’installer dans le confort de mon anonymat. Cependant, j’ai choisi de parler parce que je crois
en la capacité de la parole à changer les choses. J’ai choisi de m’engager pour défendre la laïcité et l’égalité parce que l’engagement, comme le disait Camus, donne du sens à la vie.
N’est-ce pas contradictoire d’intituler votre livre Ma vie à contre-Coran, alors que vous affirmez que l’islamisme n’est pas l’islam ?
Djemila Benhabib. Certes, l’islamisme n’est pas l’islam, mais il prend racine dans l’islam, il en est une interprétation, la plus radicale. Ce titre, c’est avant tout un jeu de mots que nous permet de faire cette langue française merveilleusement féconde. Alors pourquoi se le refuser ?
Diriez-vous que dans vos deux pays d’accueil, la France puis le Québec, le système politico-religieux s’installe de la même façon que celui qui vous a obligée à quitter l’Algérie ?
Djemila Benhabib. Absolument. On sent de l’égarement. On oublie que la laïcité est l’aboutissement historique d’un long processus et qu’on y est arrivé par nécessité. C’est comme si la collusion du religieux et du politique n’avait jamais existé alors qu’elle était la norme en Europe, et c’est précisément pour éviter ces dérives qu’on a confiné le religieux à la sphère privée. Au Québec, on souligne cette année le 50e anniversaire de la mort de l’ancien premier ministre, Duplessis. C’est extraordinaire de voir à quel point l’alliance entre le clergé catholique et l’État était lourde de conséquences pour toute la société, et particulièrement pour les femmes.
Comment expliquer la montée de cette idéologie conservatrice, particulièrement redoutable pour la liberté des femmes ?
Djemila Benhabib. Les droits des femmes ont avancé, ces soixante dernières années, d’une façon vertigineuse en Occident, mais ce n’est rien comparé aux deux mille ans de patriarcat, voire davantage, que nous traînons derrière nous. Chaque fois qu’un mouvement conservateur prend forme dans une société, il s’attaque d’abord aux droits des femmes parce que les reliquats du patriarcat sont encore puissants. Les facteurs qui provoquent la résurgence de ces idéologies conservatrices sont multiples et convergents, mais ils sanctionnent surtout une panne du politique.
Vous écrivez : « L’Algérie m’a donné la force, la France la liberté et le Québec des ailes. » Pouvez-vous expliciter ?
Djemila Benhabib. Comme le disait Saint-Exupéry, c’est dans l’adversité qu’on se forge. J’en ai rencontré beaucoup en Algérie et c’est ainsi que j’ai grandi, avec une soif immense de liberté dont je n’ai pu jouir pleinement qu’une fois installée en France parce que, la condition des femmes étant ce qu’elle est, en Algérie, on ne peut y vivre librement. Le Québec m’a permis de me réaliser dans toutes mes dimensions et d’aller jusqu’au bout de mes rêves les plus intimes. C’est en cela qu’il m’a donné des ailes.
Vous dites que « la laïcité est, elle, la seule voie de cohabitation possible » en Algérie, en France comme au Québec. Pourquoi ?
Djemila Benhabib. L’histoire regorge d’exemples de religions qui débordent de la sphère privée pour envahir la sphère publique et devenir la loi. Dans ce contexte, les femmes sont les premières perdantes. Pas seulement. La vie, dans ses multiples dimensions, se sclérose lorsque la loi de Dieu se mêle à la loi des hommes pour organiser les moindres faits et gestes de chacun. Il n’y a plus de place pour les avancées scientifiques, la littérature, le théâtre, la musique, la danse, la peinture, le cinéma, la vie tout simplement. Seuls la régression et les interdits se multiplient. C’est ce qu’il faut éviter à tout prix si notre prétention est de vouloir continuer de faire avancer l’humanité.
L’Initiative féministe européenne organise une rencontre avec l’auteure, mardi 13 octobre, à 18 h 30, à la Maison des associations, 8, rue du Général-Renault, 75011 Paris, métro Voltaire ou Saint-Amboise.
Entretien réalisé par Mina Kaci
L'Humanité du 12 octobre 2009
Commentaires (143) | Réagir ?
mr dehbi au lieu de sattaquer a une ecrivaine et qui porte un nom et non canado algero machin. elle sattaque a lislamisme dans le monde et pourquoi vous voulez dedouaner nos teroristes musulmans sous pretexte quon vit sous une dictature sanginaire. ne sont tils pas les idiots utiles de nos regimes et des forces retrogrades de part le monde. rondons a cesar ce qui appartient a cesar.
bonjour à toutes et tous...
je découvre l'auteure et vais découvrir le livre en question, sitôt acheté.
la question de fond, elle par contre... le rapport de la liberté aux religions et vice-versa et vieux comme ces deux concepts et non spécifiquement algérien. spinoza et voltaire, notamment...
ah, Hadj Messar... vous eussiez allumé de beaux bûchers...
à bientôt