Rétorsion déguisée ? La librairie des Beaux-Arts à Alger, sommée de fermer
Boussad Ouadi, éditeur-libraire, l'homme qui a accepté de publier "Les geôles d'Alger" de Mohamed Benchicou et qui en a, déjà à l'époque, payé le prix, vient d'être victime d'une infamie : sa librairie, la librairie des Beaux-Arts, sise au 28, rue Didouche-Mourad, est sommée de fermer ses portes dès la fin du mois en cours.
“Nous sommes au regret de vous informer que nous sommes mis en demeure de quitter les lieux dans les prochains jours et de restituer la gérance de notre chère librairie des Beaux-Arts aux propriétaires des murs”, déclare Boussad dans un communiqué.
Difficile de ne pas voir une rétorsion déguisée contre un libraire et un éditeur courageux.
Voici la réaction du quotidien Liberté :
" Cette sentence tombe tel un couperet et laisse en nous comme un goût d’amertume. L’incompréhension est également de la partie puisqu’on s’interroge encore sur les véritables raisons qui font qu’un tel lieu ferme ses portes.
D’autant que la librairie des Beaux-Arts est l’une des dernières librairies de la rue Didouche-Mourad. L’incompréhension grandit et devient presque colère lorsqu’on sait que les maîtres des lieux vouent un amour infini pour le livre et se sont toujours montrés au service des lecteurs, souvent exigeants et continuellement en quête de nouveautés.“Nous avons espéré pouvoir fournir les dernières nouveautés, à la demande des particuliers, dès leur parution dans le monde, par la mise en place d’un service express importation. Nous en avons été empêchés par des lois scélérates nous exigeant d’augmenter notre capital social à deux milliards de centimes. Et puis, tout dernièrement, des directives de la Banque centrale nous ont imposé, pour chaque livre importé, des certificats phytosanitaires, des certificats d’origine et de conformité, en plus des traditionnels visas des ministères de la Culture, des Affaires religieuses et de la police”, explique plus loin le communiqué qui, toutefois, n’incrimine personne et reste vague. Voulant en savoir plus, nous avons pris contact avec Boussad Ouadi, qui nous a reçu hier matin dans sa librairie.
Bien que la déception se lisait sur son visage, M. Ouadi nous a offert de son temps et nous a d’abord révélé : “Je ne blâme pas le propriétaire de ces lieux qui voit lui-même ses propres intérêts. Il a demandé cinq fois plus de ce qu’on lui paie déjà, et ce n’est pas possible ! Nous manquons d’approvisionnement ; l’édition est verrouillée (je suis éditeur, mais je n’ai pas le droit d’éditer, je suis bâillonné). On n’a pas le droit d’importer et lorsqu’on le fait, on nous demande des certificats de toutes sortes. En fait, le marché de l’édition est étriqué parce qu’il n’y a pas de liberté de création.” Et d’ajouter : “Le marché, c’est d’abord la liberté. Or, celui-ci se meurt parce que tout est verrouillé et de manière sournoise.” En effet, la plupart des éditeurs publient des livres subventionnés.
À ce propos, Boussad Ouadi, également responsable de la maison d’édition Inas, nous a dévoilé : “J’ai envoyé vingt-huit projets d’édition, comportant environ cinquante-huit bouquins, au ministère de la Culture, mais je n’ai reçu aucune réponse, même pas un refus.”
Notre interlocuteur nous a, par ailleurs, ajouté : “Ce n’est pas un problème de personnes. Je veux attirer l’attention sur la menace qui plane sur la profession : il n’y a pas de marché suffisant, le marché du livre est sclérosé, le manque de création dans l’édition, et puis il y a le marché informel, c'est-à-dire le piratage des livres. Bien évidemment, je ne blâme pas le consommateur, mais je constate qu’on donne des subventions "bidons" au lieu d’augmenter le pouvoir d’achat.”
C’est sur un goût d’inachevé que la librairie des Beaux-Arts fermera ses portes à la fin du mois en cours, après cinq années de partage, de passion et d’amour pour le livre. Et bien que l’humeur ne soit pas très joviale, la librairie propose des réductions à ses clients.
En tout cas, Boussad Ouadi n’abandonne pas son métier qu’il exerce depuis très trop longtemps. Il nous a d’ailleurs déclaré : “Je continuerai, je ne sais pas comment, mais je continuerai.”
Commentaires (25) | Réagir ?
La dictature frappe encore la liberté de la presse et de l'édition.
Merci Bouteflika
En réponse au commentaire d’un certain PASC, il est inconcevable d’apprendre que la suppression des librairies n’a aucune influence sur la lecture des livres, comme si les livres sont disponibles à chaque coin de rue. Il est utile de préciser qu’en général, les livres, les magazines et autres publications culturelles se trouvent dans les librairies et que celles-ci ont un rôle beaucoup plus important que la simple lecture des livres mais un lieu de d’apprentissage et de savoir. Jusqu’à preuve du contraire, les livres ne se trouvent pas dans les rôtisseries. C’est avec ce genre de raisonnement que le régime en place prend les devant pour supprimer les publications bien avant qu'elles ne soient imprimer.