"La révolution inconnue"
De prime abord, je voulais intituler cette contribution "L’imposture inconnue". Mais non. Pourquoi accorder la priorité aux dominateurs ? Mieux vaut s’intéresser aux dominés, à leurs actions, écrits et déclarations. Ils sont le sel de la terre ; les dominateurs ne sont, en réalité, que le contours, même s’ils exercent pour un temps leur infâme pouvoir sur le peuple.
À l’age de vingt ans, j’eus le malheur d’ignorer un libre. Auteur : Voline, titre : "La révolution inconnue". Pourtant, j’avais entendu parler de cet ouvrage. Mais, dogmatisme et suffisance juvéniles : j’ai dédaigné de le lire. Motif ? Totalement imbécile. J’avais cru les paroles de Karl Marx, puis de Lénine. Ils déclaraient en substance : les anarchistes sont des « petits-bourgeois contre-révolutionnaires », « complices objectifs de la bourgeoisie ». Résultat : ma coupable et sotte ignorance.
Il m’a fallu attendre l’acquisition d’expérience pratique, en Algérie, au contact des travailleurs des villes et des campagnes, pour me rendre compte, notamment par les errements du P.A.G.S., que quelque chose, dans le marxisme-léninisme, était "pourri", selon l’expression d’Hamlet. C’est seulement, alors, que je me suis intéressé, concernant les partisans de la révolution sociale, aux adversaires les plus connus et acharnés du marxisme- léninisme.
Ainsi, j’ai découvert combien grave était ma ridicule et stérile suffisance dogmatique. Parmi les ouvrages fondamentaux que j’ai découverts, me voici donc, finalement, arrivé à celui de Voline. Il participa en première personne, comme militant anarchiste, aux phases principales de la révolution sociale en Russie.
Et voici ce que je lis, dans la préface : "Dans le présent ouvrage, cette Révolution inconnue est la Révolution russe ; non pas celle qui a été maintes fois traitée par des hommes politiques ou des écrivains patentés, mais celle qui fut – par ceux-là mêmes – ou négligée, ou adroitement voilée, ou même falsifiée : celle qu’on ignore. Feuilletez quelques livres sur la Révolution russe. Jusqu’à présent, presque tous ont été faits par des gens plus ou moins intéressés, que ce soit au point de vue doctrinal, politique ou même personnel. Selon que l’écrivain est un "blanc", un "démocrate", un "socialiste", un "stalinien" ou un"trotskyste", tout change d’aspect. La réalité elle-même est façonnée au gré du narrateur. Plus vous cherchez à la fixer, moins vous y arrivez. Car les auteurs ont, chaque fois, passé sous silence des faits de la plus haute importance si ceux-ci ne s’accordaient pas avec leurs idées, ne les intéressaient pas ou ne leur convenaient pas.
Eh bien, cette documentation inédite– et cependant exceptionnellement édifiante – constitue, précisément, la plus grande partie du présent volume. Sans exagérer ni se vanter, l’auteur ose avancer cette affirmation : celui qui n’aura pas pris connaissance de cet ouvrage restera dans l’ignorance d’un nombre considérable de faits d’une portée capitale.
Un problème fondamental nous est légué par les révolution précédentes : j’entends surtout celle de 1789 et celle de 1917 dressées pour une grande partie contre l’oppression, animées d’un puissant souffle de liberté et proclamant la Liberté comme leur but essentiel, pourquoi ces révolutions sombrèrent-elles dans une nouvelle dictature exercée par d’autres couches dominatrices et privilégiées, dans un nouvel esclavage des masses populaires ? Quelles seraient les conditions qui permettraient à une révolution d’éviter cette triste fin ? Cette fin serait-elle, longtemps encore, une sorte de fatalité historique ou bien serait-elle due à des facteurs passagers et même, simplement, à des erreurs et à des fautes pouvant être écartées dorénavant ? Et dans ce dernier cas, quels seraient les moyens d’éliminer le danger qui menace déjà les révolutions à venir ? Un espoir de le surmonter serait-il permis ?
Selon l’avis de l’auteur, ce sont précisément les éléments ignorés – et sciemment dissimulés – qui nous offrent la clef du problème en nous fournissant la matière indispensable à sa solution. Le présent ouvrage est une tentative d’éclaircir ce problème a l’aide de faits précis et incontestables."
À cette préface, le texte répond fidèlement, correctement.
Soit dit en passant, le sport de la classe dominante algérienne de falsifier l’histoire, n’est pas spécifique. Elle a su où s’inspirer. Elle ne fait qu’imiter n’importe quelle autre caste dominante. L’unique différence est celle-ci : en Algérie manquent, jusqu’à présent, les historiens courageux et talentueux, notamment ceux qui accordent leur intérêt aux classes dominées, et non aux "jeux" des castes dominatrices.
Pour revenir au livre en examen, impossible de le lire sans, tour à tour, des serrements douloureux au cœur (à cause des tourments subis par les victimes), des indignations profondes (en découvrant les crimes des différents types de dominateurs), des éclaircissements lumineux (sur le fonctionnement d’une révolution et d’une contre-révolution), des leçons très précieuses (sur l’action de changement social vraiment radical).
L’ouvrage fournit des informations concrètes et irréfutables, des documents pour la première fois révélés, des témoignages de personnes engagées en première ligne. L’analyse est concrète, objective et honnête, bien entendu, du point de vue des dominés-exploités. En somme, l’histoire réelle, contre celle officielle et dominante, toujours menteuse et manipulatrice. On se rend compte, d’une part, de l’admirable générosité collective des uns (travailleurs, soldats, paysans, militants soviétiques), d’autre part, de l’immonde cruauté cynique, - les mots sont exacts -, des autres (Lénine, Trotski et leurs "cadres" bolcheviques). Quelle atroce désillusion concernant ceux que ma puérile jeunesse croyait être d’authentiques et géniaux révolutionnaires ! Et quelle écrasante honte, mon dédain crétin des vrais révolutionnaires.
Mais une immense joie libératrice ! Finalement, j’ai découvert non pas des "Maîtres à penser", des "professionnels de la révolution", des "savants socialistes", des "guides géniaux et infaillibles", mais des compagnons. Leur unique, sincère et principal souci est de rendre toutes et tous capables de penser de manière libre et autonome, pour construire une société nouvelle, de citoyen-nes libres, autonomes et solidaires.
Ah ! Le temps perdu à errer, auparavant, dans la "science" marxiste-léniniste de la "révolution". Mais, mieux vaut tard que jamais. Enfin, j’ai trouvé la pratique et la théorie correspondants à l’autogestion que j’ai connue en Algérie, en la découvrant dans l’usine de chaussures où travaillait mon père, à Oran, autogestion que j’ai aimée, qui m’a ouvert les yeux sur un nouveau monde possible.
Voici le genre d’informations contenues dans La révolution inconnue :
"Je ne me rappelle pas exactement comment cette idée nous vint. Mais je crois me souvenir que ce furent les ouvriers eux-mêmes qui l’avancèrent. Le mot Soviet qui, en russe, signifie précisément conseil, fut prononcé pour la première fois dans ce sens spécifique. En somme, il s’agissait, dans cette première ébauche, d’une sorte de permanence ouvrière sociale. L’idée fut adoptée. Séance tenante, on essaya de fixer les bases d’organisation et de fonctionnement de ce "Soviet".
Alors, rapidement, le projet prit de l’envergure.
On décida de mettre les ouvriers de toutes les grandes usines de la capitale au courant de la nouvelle création et de procéder, toujours dans l’intimité, aux élections des membres de cet organisme qu’on appela, pour la première fois, Conseil (Soviet) des délégués ouvriers .
En même temps, on posa une autre question : Qui dirigera les travaux du Soviet ? Qui sera placé à sa tête pour le guider ? Les ouvriers présents, sans hésitation, me proposèrent ce poste. Très touché par leur confiance, je déclinai néanmoins catégoriquement leur offre. Je dis à mes
amis : "Vous êtes des ouvriers. Vous voulez créer un organisme qui devra s’occuper de vos intérêts ouvriers. Apprenez donc, dès le début, à mener vos affaires vous-mêmes. Ne confiez pas vos destinées à ceux qui ne sont pas des vôtres. Ne vous imposez pas de nouveaux maîtres ; ils finiront par vous dominer et vous trahir. Je suis persuadé qu’en ce qui concerne vos luttes et votre émancipation, personne, en dehors de vous-mêmes, ne pourra jamais aboutir à un vrai résultat.
Pour vous, au-dessus de vous, à la place de vous-mêmes, personne ne fera jamais rien. Vous devez trouver votre président, votre secrétaire et les membres de votre commission administrative dans vos propres rangs. Si vous avez besoin de renseignements, d’éclaircissements, de certaines connaissances spéciales, de conseils, bref, d’une aide intellectuelle et morale qui relève d’une instruction approfondie, vous pouvez vous adresser à des intellectuels, à des gens instruits qui devront être heureux non pas de vous mener en maîtres, mais de vous apporter leur concours sans se mêler à vos organisations. Il est de leur devoir de vous prêter ce concours, car ce n’est pas de votre faute si l’instruction indispensable vous fait défaut. Ces amis intellectuels pourront même assister à vos réunions - avec voix consultative, sans plus"
Dans le récit des événements, deux sont à relever, en particulier, parmi tant d’autres. Lénine et son gouvernement, dont faisait partie Trotski, ont massacré les partisans des soviets en les accusant de collusion avec le capitalisme interne et externe. Immédiatement après ce crime d’État, quelle fut la première importante mesure prise par le gouvernement bolchevique ?… L’établissement de la N.E.P. (Nouvelle Économie Politique). Autrement dit rétablissement de règles du marché capitaliste !
Comprends-tu, maintenant, lecteur-trice, le motif de la haine intraitable et de la répression sanguinaire contre les partisans des authentiques soviets, de la part de Lénine et Trotski (et de leurs "cadres", à ne pas confondre avec les militants de base, manipulés et trompés) ?… Au nom de leur « savoir », en plus "scientifique", des "lois" de la "révolution", ces "Chefs" voulaient absolument penser ! commander ! diriger ! imposer ! décider eux-mêmes et rien qu’eux-mêmes! Les autres doivent se contenter d’exécuter, de mourir pour leur « bien-aimé et génial Guide ». Tsars "rouges" remplaçant les tsars "blancs". Identique mentalité de caserne et de goulags ; dans le deuxième cas, orné d’une étoile rouge. Ô, la machiavélique imposture !
Et cette monstruosité, contrairement à l’histoire officielle, relayée par une majorité de marxistes dans le monde, n’est pas apparue avec Staline, mais avec Lénine et Trotski. Mais, comme affirmait Goebbels, ministre nazi de la propagande, plus un mensonge est gros et répété, puis il a des chances d’être cru. Je fus une des victimes de cette manipulation.
Comprends-tu, également, lecteur-trice, combien la fameuse brochure de Lénine, "Tout le pouvoir aux soviets !", s’est révélée n’être, en réalité, qu’une manœuvre cynique pour infiltrer les soviets, puis les transformer en simple courroies de transmission du "Parti-Guide", autrement dit du "Génial" Lénine ? Mais quand les authentiques partisans des soviets s’y opposèrent, répondit le massacre par l’armée « rouge », commandée par Trotski, et ordonné par Lénine.
Comprends-tu, enfin, lecteur-trice, combien la désignation nouvelle, Union des Républiques "Socialistes", "Soviétiques" fut cyniquement trompeuse ? À l’image de notre République Algérienne "Démocratique" et "Populaire".
En passant, juste cet extrait du livre, à propos de Lénine et son Parti "dirigeant" : "Il avait rudement raison, ce paysan qui déclara au VIIIe Congrès des Soviets :
"Tout va très bien... Seulement, si la terre est à nous, le pain est à vous ; l’eau est à nous, mais le poisson est à vous ; les forêts sont à nous, mais le bois est à vous…"
Ça ne rappelle rien, en Algérie ?… Au temps du « socialisme », le peuple disait : "Lichtirakyâ ?… Al lauto lîk, wal hmâr lyâ." (Le socialisme ?… L’automobile pour toi, et l’âne pour moi). Et certains « intellectuels » traitent le peuple de stupide, d’ignorant, de foule, de masse, de "ghâchi" !
Par conséquent, si l’histoire, la réelle, celle occultée par les vainqueurs, celle difficile à connaître, t’intéresse ; si tu as l’intelligence qui m’a manquée, quand j’avais vingt ans ; si tu veux savoir comment une révolution s’est transformée, par des prétendus révolutionnaires apparemment indiscutables, en système conservateur totalitaire ; si tu veux découvrir des solutions alternatives meilleures, alors prends le temps de lire La révolution inconnue de Voline. J’espère avoir montré qu’il ne s’agit pas d’un catéchisme, mais simplement d’un témoignage direct, permettant de réfléchir librement, sur des événements fondamentaux en terme de changement social en faveur des exploités.
Après lecture de ce témoignage de première main et d’une honnêteté absolue, il sera plus facile de comprendre d’autres événements, tels les suivants.
1. En Algérie, déceler les mécanismes et les agents qui ont transformé l’espoir d’un changement social en faveur du peuple, nourri par la lutte de libération nationale, en un système qui n’a pas répondu à cet objectif.
2. Les motifs du lamentable écroulement du système, également conservateur totalitaire, dont accoucha, malheureusement, la révolution russe, et cela, répétons-le, déjà du temps de Lénine et Trotski. Par conséquent, comprendre que la fin du socialisme, en U.R. « S ».« S », eut lieu en mars 1921, et non pas lors de la destruction du mur de Berlin en 1989.
3. Découvrir que le léninisme et le trotskysme ne sont que la base du système que Staline, en vrai bolchevique, a poussé à ses logiques extrêmes conséquences.
4. Comprendre qu’en Algérie, le "benbellisme" et le "boumédiénisme" n’ont disparu que sous forme de dictature ouvertement proclamée, mais que le pays demeure soumis à une caste étatique, à présent attirée par les profits que lui fournissent la bourgeoisie privée mafieuse et compradore.
5. Comprendre les fatales erreurs théoriques de Karl Marx et Friedrich Engels en ce qui concerne le processus de changement social radical. Et par conséquent comprendre le rôle que joua le P.A.G.S. en Algérie, et que certains voudraient encore lui faire jouer, vue la persistance de la néfaste mentalité autoritaire-élitaire, maquillée de bonnes intentions populaires. Autrement dit, prétendre (au prétexte de détenir un diplôme universitaire) savoir mieux que les exploités eux-mêmes comment les affranchir de leur exploitation.
6. Découvrir la valeur, systématiquement occultée, de la gestion de la société par les citoyens eux-mêmes, en particulier de la production économique par les travailleurs eux-mêmes.
Mais, au fait, l’autogestion ouvrière et paysanne en Algérie n’est-elle pas, elle aussi, une révolution inconnue ? Existe-t-il un-e auteur-e, un-e dirigeant-e politique algérien-ne qui a écrit, comme témoin plus ou moins direct-e, sur la naissance, le développement et l’élimination de cette expérience ?… Le peuple algérien a-t-il un Voline que j’ignore ?… Je serai heureux de lire son texte et d’en rendre compte.
Élargissons le problème. Pourquoi, après l’élimination étatique de l’autogestion, le silence assourdissant sur cette expérience, comme si elle fut un événement insignifiant, ne méritant pas d’être mentionné ? Alors que l’autogestion fut la conquête la plus conforme, la plus conséquente et la plus belle de la lutte populaire de libération nationale, dont le bras armé fut les plus dominés et exploités du peuple algérien.
La révolution inconnue est à télé-décharger librement ici :
http://entremonde.net/IMG/pdf/RUPTURE02-Livre.pdf
ou à lire en ligne ici :
http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm
Pour souci d’objectivité, on peut connaître le point de vue de Léon Trotski, à télé-décharger librement ici : https://www.marxiste.org/theorie/histoire-materialisme-historique/1363-beaucoup-de-tapage-autour-de-cronstadt
Quant au point de vue de Lénine, il se trouve dans ses écrits et déclarations de l’époque. Les mêmes arguments que Trotski, en un peu plus intelligent, c’est-à-dire plus malin, plus trompeur, plus machiavélique. Par respect de la vérité, reconnaissons à ces deux chefs un fait. Au-delà de leurs actions courageuses, indéniables et admirables contre le tsarisme, existait, malheureusement, autre chose.
Pour s’ériger en dirigeants exclusifs de la lutte (parce que leur théorie de la révolution l’imposait, voir le "Que faire ?" de Lénine), le cynisme de ce dernier et de Trotski allait jusqu’au mensonge caractérisé (voir le livre de Voline). Il était dicté par une conviction totale, absolument dogmatique. Ils croyaient sincèrement détenir la Vérité en ce qui concerne la conduite de la révolution, Vérité provenant d’un savoir totalement « scientifique », puisé chez ceux qu’ils reconnaissaient comme leurs Maîtres à penser : Karl Marx et Friedrich Engels.
Aussi, les disciples russes exigeaient de leurs « cadres » et militants le même suivisme, et du peuple laborieux de s’y conformer. Autrement, ils étaient ouvertement accusés de "contre-révolutionnaire" (ce fut le cas des partisans des soviets). Et cela menait aux arrestations, aux tortures et à l’assassinat. Méthodes que Staline n’a fait qu’appliquer, en les élargissant au fur et à mesure de l’aggravation des conflits entre la caste étatique et le peuple laborieux. Cela fut possible en fabriquant des accusations. La procédure suivie s’est inspirée directement de deux précédentes : l’Inquisition catholique et le jacobinisme guillotineur de Robespierre.
Mais beaucoup de personnes honnêtes sont tombées dans le panneau de croire à la « révolution » bolchevique, et ceci jusqu’à la mort de Staline ; et, même, pour les plus bornés, jusqu’à la chute du mur de Berlin. Et, pis encore, certains y croient encore aujourd’hui. Mais ceci est une autre malheureuse histoire.
Kaddour Naïmi
Courriel : [email protected]
Commentaires (5) | Réagir ?
merci
danke schoon