Algérie/Iran : deux économies rentières en difficultés financières

L'Iran compte lancer une usine de fabrication de véhicules en Algérie sans préciser son taux d'intégration.
L'Iran compte lancer une usine de fabrication de véhicules en Algérie sans préciser son taux d'intégration.

Le montant des échanges économiques entre l’Algérie et l’Iran est dérisoire. Il est évalué à 100 millions de dollars, et penche totalement du côté iranien par l’exportation de fruits secs et des produits semi-finis.

L’iranien Khodro a commencé à exporter ses véhicules vers l'Algérie du fait d’un protocole d'entente signé entre les deux pays et l’on annonce le montage d’une unité de montage de voitures iraniennes sans préciser le taux d’intégration. Qu’exportera l’Algérie en dehors des hydrocarbures et a-t-elle les compétences managériales et technologiques pour impulser en Iran des segments hors rente dans le cadre des valeurs internationales ?

1.- Les incidences géostratégiques de la levée de l’embargo

Toute la communauté internationale dont l’Algérie a salué la levée effective de l’embargo contre l’Iran après que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ait attesté le 16 janvier 2016 des dispositions prises par Téhéran pour ne pas être en capacité de produire une bombe nucléaire. Après près d’une décennie d’isolement diplomatique, l’Iran cherche à renouer avec la communauté internationale. Dès son élection en juin 2013, le président Rohani a exprimé son souhait d’améliorer les relations de l’Iran avec la communauté internationale notamment sur le dossier du nucléaire, dégradées au cours des présidences précédentes, tout en essayant d’apaiser ses relations avec les puissances régionales notamment ses relations avec les puissances sunnites, en particulier l’Arabie Saoudite. Selon bon nombre d’experts militaires, le Yémen, à l'extrémité de la péninsule arabique et chasse gardée de l'Arabie saoudite via les USA, n'est pas une priorité stratégique pour Téhéran, bien moins en tout cas que l'Irak ou la Syrie, où l’Iran est un acteur majeur des crises en cours. Sur le plan régional, c’est un acteur clef comme en témoigne sa priorité qui est la lutte contre Daech. L’Iran a apporté son soutien au régime irakien mais également depuis le déclenchement de la crise syrienne son soutien à Damas. Mais une position qui peut évoluer selon ses intérêts stratégiques. D’une manière générale cet accord historique pourrait aider à stabiliser les tensions dans la région et aura un impact sur l’offre du pétrole. L’Irak peut produire 8/9 millions de barils/jour et l’Iran qui produisait vers 2011/2014 plus de 2,5 millions de barils jour peut produire plus de 5/6 millions de barils/jour. Ces facteurs s’ajoutent à une production hors OPEP, part de marché de 67% contre 33% OPEP, sans compter les nouveaux arrivés sur le marché mondial (par exemple le Mozambique), l'effort de guerre de l'Arabie Saoudite qui ne veut pas en plus perdre des parts de marché, la forte production russe ( plus de 10 millions de barils/jour), le pétrole/gaz de schiste américain qui a bouleversé toute la carte énergétique mondiale, qui exportera vers l’Europe.

2.- Une économie iranienne dégradée

La République islamique d’Iran, a été proclamée le 1er avril 1979. L’Iran a une superficie de 1. 648. 000 km2 avec pour capitale Téhéran et ses principales villes sont Machhad, Ispahan, Karaj, Tabriz. Malgré ses potentialités très importantes, la situation actuelle est fortement dégradée. L’Iran détient la quatrième réserve pétrolière mondiale avec plus de 160 milliards de barils ( 13/14% des réserves mondiales) ,l’Algérie seulement 10 milliards de barils ( données 2015) lui permettant facilement d’exporter entre 4/5 millions de barils jour et le deuxième réservoir de gaz traditionnel avec plus de 34.000 milliards de mètres cubes gazeux soit plus de 16% des réserves mondiales, l’Algérie 2700 milliards de mètres cubes gazeux (données 2015) , sans compter que l'Iran aura alors accès avec des données contradictoires entre 50/100 milliards de dollars bloqués dans les banques étrangères, qui pourront augmenter ses exportations et attirer les investissements étrangers. L’Iran a d’importantes ressources. Elle est située sur la ceinture des réserves de cuivre de la planète et bénéficie de réserves considérables d'autres minéraux, tels que le fer, l'aluminium, le plomb et le zinc et un pays avantagé par des frontières qu'il partage avec 15 pays, pouvant devenir facilement un pays émergent, d’autant plus qu’il a investi dans la ressource la plus sure la ressource humaine, l’élite sans laquelle aucun pays ne peut se développer. Sa monnaie est le Rial où un euro = 33.917 IR en 2014.

Selon les études de l’OCDE et du FMI, sa population est d’environ 77,8 millions (octobre 2014) avec une densité de 48,4 hab/km2, occupant la 2e place derrière l'Egypte. Le taux d’alphabétisation est de 93% pour les Iraniens de 19 à 40 ans, encore qu’existe des disparités puisque l’Indice de développement humain est 0,707 ayant été classée 88è rang mondial. Le PIB par habitant 2013/2014) est de 4 748 dollars avec un produit intérieur brut (PIB (2013/2014) de 366,1 milliards de dollars US, étant la deuxième économie au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, PIB , ventilé comme suit : agriculture : 11,3% -industrie : 37,6%- services : 51%. En plus du pétrole et du gaz, l'Iran exporte principalement des pistaches, des tapis, des produits pétrochimiques, des produits chimiques organiques, de l'aluminium, des matériaux plastiques. Ses trois principaux fournisseurs sont la Chine, l'Allemagne et les Emirats Arabes Unis (qui jouent le rôle de centre de réexportation). Les biens principalement importés sont les machines, le fer et l'acier, l'équipement électrique et électronique et les céréales. Mais les indicateurs macro-financiers et macro-sociaux sont inquiétants. La valeur de la devise nationale a perdu 80 % de sa valeur et le taux de chômage réel a grimpé à 30 % du fait de la croissance négative, l’économie étant dominée par le secteur public qui contrôle près de 80% et un secteur privé relativement limité. Le déficit budgétaire pour 2013/2014 aurait été de 6% du PIB avec une contraction du PIB de l'ordre de -1,2%.

Selon le rapport du FMI l’excédent courant serait passé de 26,3 milliards de dollars (soit 6,6% du PIB) en 2012/2013 (mais 11% en 2011 / 2012) à 27,4 milliards de dollars (soit 7,5% du PIB) en 2013/2014, bien que l’excédent de la balance des paiements, aurait été ramené de 12,2 à 3,28 milliards de dollars. Nous avons d’autres données fournies par le président iranien en date du 31 mars 2015. Selon l’agence officielle iranienne en 2014 10% de points de PIB en baisse sur le total des revenus depuis 2010 dus aux contraintes dans les transactions financières internationales qui sont accéléré la stagnation de l'économie iranienne, avec une récession de 1¾ % du PIB. Ainsi, le déficit global a été de 2¼ % du PIB pour 2013-2014 et que durant l'année iranienne 1391 (mars 2012-mars 2013) la croissance a été négative de 6,8% et en 1392 et de (mars 2013 - mars 2014) nous avons eu une croissance négative de 1,1%. Cela rejoint le constat du FMI, pour qui la performance macro-économique du pays s'est dégradée en raison du renforcement des sanctions internationales, expliquant que le gouvernement iranien a commencé l’arrêt progressif des subventions sur l'énergie, le début d'un processus qui augmentera les prix de l'essence, de l'électricité et d'autres services publics. Le gouvernement a même été contraint, de vendre des dollars pour soutenir sa monnaie fortement dévaluée.

3.- L’Iran, un pays face aux défis futurs

L’important pour le gouvernement iranien est de sortir l'économie de la récession. L’objectif est la relance économique et la maîtrise de l'inflation pour maintenir la cohésion sociale. Et pour cela, il faut une politique de croissance nécessitant d’importants moyens de financement expliquant sa position lors de la dernière réunion de l’OPEP. Avec la généralisation de l’embargo, les revenus pétroliers de l’Iran ont chuté pour atteindre le quart de leur niveau initial, l’économie étant très dépendante des revenus pétroliers qui irrigue la sphère économique et sociale qui représentant, selon le niveau du chiffre d’affaire, entre 70/ 80% des recettes de l'Etat. Dans ce contexte, une hausse ou une baisse du prix du pétrole influe sur les recettes du pays. Encore qu’il faille préciser en Iran, que les ventes de condensats de gaz et produits pétrochimiques sont comptabilisées comme exportations non pétrolières. Aussi, l’embargo a eu des répercussions négatives, les exportations de brut iranien étant plafonnées à 1 million de b/j. C’est pourquoi, le gouvernement iranien avec la levée de l’embargo entend accroître l’offre d’hydrocarbures afin de reconstruire son économie qui lui permettra de dynamiser son économie et entend mener des réformes internes afin accroître les recettes fiscales à terme. Ainsi l’Iran envisage des privatisations et cessions d’actifs en forte progression par rapport au budget actuel, combiné à la réduction du train de vie de l’Etat (dépenses de fonctionnement, salaires des fonctionnaires). Ainsi, le gouvernement iranien, notamment les réformateurs sont confrontés à d’importants défis internes nécessitant d’importantes réformes structurelles à trois niveaux :

- Premier niveau, les subventions généralisées non ciblées, source de gaspillage, les situations de rentes et les détournements de fonds, constituant une autre cause de cette hémorragie permanente dans l'économie iranienne qui empêchent la canalisation des richesses dans le système de production intérieure et le développement du pays ;

- Deuxième niveau tout en veillant à sa protection sécuritaire, limiter les dépenses faramineuses consacrées à l'appareil militaire du fait des tensions régionales dont le projet nucléaire à des fins militaires l’Accord prévoyant le nucléaire à des fins civiles, le programme balistique colossal et la politique interventionniste au niveau international qui nécessitent d’importantes aides financières ;

- Troisième niveau qui impliquera des réaménagements au niveau du pouvoir iranien, la limitation du pouvoir des Pasdaran qui contrôlent une part essentielle de l'économie iranienne qui sans être soumis à la loi sur la fiscalité, monopolisent l'activité économique en encaissant des revenus colossaux dans les secteurs du pétrole, gaz, pétrochimie, téléphonie, informatique, de l'industrie de l'automobile, l'acier, le ciment, l'alimentaire, les produits pharmaceutiques, ainsi que les routes, les banques, les assurances. Selon les analystes, les Pasdaran sont parmi les plus grands cartels du monde et contrôlent plus de 50 % des importations et le tiers des exportations iraniennes.

En bref, l’entrée de l’Iran au niveau du concert des Nations permettra de désamorcer le climat de tensions que traverse tant la région et cet accord préfigure une importante reconfiguration géostratégique et énergétique au niveau du Moyen Orient. Il faut être réaliste, n’existant pas de sentiments dans la pratique des affaires, chaque pays défend avant tout ses intérêts propres, le marché naturel pour les hydrocarbures, de l’Iran étant l’Asie et celui de l’Algérie, l’Europe. Pourtant, avec la chute du cours des hydrocarbures les deux pays connaissant une crise financière, les relations entre l’Algérie et l’Iran bien, qu’ayant pour l’instant des économies concurrentes, et de surcroit confrontés à des difficultés financières, peuvent être intensifiées à l’avenir.

Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités, expert international

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