Je me dois à l'Algérie, par Roger Hanin
Ce texte paru dans l'Humanité du 1er avril 1999, par lequel Roger Hanin révèle un large pan de son identité mosaïque où chaque segment est empreint d'une fibre fondamentalement algérienne...à un moment (1999) où l'Algérie était abandonnée par tous.
Par Roger Hanin. Acteur.
Paris. Il fait nuit. Je suis dans mon bureau. Je pense à l'Algérie. Comme elle me paraît loin.J'ai peur de ne plus pouvoir la retrouver en pensée.
Je ne veux forcer ni mon coeur ni ma mémoire. Où en suis-je de l'Algérie ?
J'écoute cette phrase et j'entends : "Où en suis-je de ma vie ?" Même sensation. L'Algérie, comme ma vie, m'a laissé bonheurs, souffrances, frayeurs.
Et pourtant, dans le silence de mon bureau, j'ai l'impression, ce soir, que je ne la connais plus et que je n'ai ni droit ni qualité pour en parler. Et si je me taisais tout simplement ? Ah, bien sûr ! Ce serait plus conforme à l'élégance intellectuelle, et l'intelligentsia trouverait cette esquive correcte. Mais, décidément ce soir, je ne suis pas correct !... Je n'ai jamais été correct. Ni intellectuellement correct, ni politiquement correct, ni " algériennement " correct.
J'ai honte de cet affaissement que je ressens pour mon pays. Mon pays... J'ai dit " mon pays "... Chaque fois que j'évoque l'Algérie, c'est vrai, je dis " mon pays ". Est-il donc si loin cet Éden blanc de soleil, parfumé d'eucalyptus et de jasmin, orange et rouge et jaune de ses fruits, ses fleurs... Je ne me rappelle donc que cela ?... D'où vient que se télescopent l'horreur, l'OAS, les crimes, les offenses, la haine, le sang, l'exode ? Tout se mélange. Et pourtant, résiste en moi une petite pousse de refus qui s'entête. Je ne peux pas me contenter d'un constat. Même brouillé.
L'Algérie n'aurait donc plus de visage ? Difficile d'admettre l'adieu et de tirer sa révérence. Musique fade sur fond de " Vous ne me devez rien, je ne vous dois rien ". L'Algérie ne me doit rien, mais moi je dois à l'Algérie. Je dois d'y être né, d'un père d'Aïn-Beida, d'un grand-père et de toute une lignée venue de la basse Casbah. Je dois à l'Algérie d'avoir vécu de soleil, d'avoir été nourri de son amour pudique et braillard, excessif et profond, ensemencé des cris de la rue, où j'ai appris la vie, la lutte, la fraternité...
Et voilà que chaque jour, lorsque j'ouvre un journal, je lis : " Des Algériens ont assassiné lundi quarante Algériens dans le massif de l'Ouarsenis. " Mardi : " Des Algériens ont égorgé à Médéa trente femmes algériennes, dix enfants algériens. " Mercredi : " Des Algériens ont torturé des vieillards algériens, coupés en morceaux des bébés algériens. " Jeudi... J'arrête l'horreur.
Et ces crimes seraient commis au nom de Dieu ?
Je ne crois pas que Dieu veuille ce sang. Le Coran n'a jamais imaginé des scènes aussi déshonorantes, des sacrifices aussi écourants. Je ne suis pas musulman. J'en arrive à le regretter car aujourd'hui je pourrais parler plus haut, plus fort. Je suis juif et je dois une gratitude éternelle à l'Algérie d'avoir gardé sur sa terre et dans sa chair, des centaines de milliers de Juifs pendant des siècles et des siècles jusqu'à l'arrivée des Français, qui ont trouvé en envahissant le pays une communauté israélite intacte, heureuse et différente.
C'est cela l'Algérie... C'est cela l'islam : le respect, la tolérance, l'amour...
En dehors des analyses intelligentes et généreuses, il faut agir ! Aujourd'hui. Il y a urgence ! Chaque heure qui passe sonne notre lâcheté. Les chefs religieux de l'islam doivent parler sans craindre de porter l'anathème.
Les chefs politiques doivent se déclarer en état de guerre civile car c'est bien de cela qu'il s'agit : il y a en Algérie des hommes et des femmes qui veulent vivre d'une certaine manière et il y a en face d'eux, d'autres hommes et d'autres femmes qui veulent vivre d'une autre manière.
Je forme des voeux pour que le prochain président de la République d'Algérie parvienne à faire vivre ensemble tous les Algériens dans leur patrie, qu'ils ont gagnée dans le courage et la dignité, dans le sang et les larmes, mais où ils ne veulent plus vivre dans les larmes et le sang.
Il ne faut plus que l'Algérie s'éloigne d'elle, par la terreur qu'elle inspire, ceux qui voudraient lui dire leur amour et leur fidélité. Il faut rendre, de nouveau, l'Algérie fréquentable, en y allant ; prouver que l'Algérie n'est pas un pays de chaos, mais une terre noble qui ne refuse pas la fraternité et appelle le courage partagé.
Je viendrai bientôt.
R. H.
Tiré du journal l'Humanité avril 1999
Commentaires (5) | Réagir ?
L'excés de "sentiments" (à la place de la "raison") dans ce type de situations nous a couté toutes les précédentes "invasions étrangères" et la dernière s'est terminée par une "colonisation"...
cet "abus" de confiance qu'on manifeste vis à vis de l'étranger et cette méfiance vis à vis du fils du pays est une "tare" qui nous a couté très cher !!! et dont on paye toujours le prix... à travers des Zélites colonisés mentalement par l'étranger !!! Ce type de rapports est percçu par l'étranger non pas comme de la ccopération mais plutot comme de la soumission !!!
Pour ce qui est de tous ces nostalgiques de l'ère coloniale, il est important de signaler que leur nostaligie se résume aux "territoires et aux biens perdus"... et non pas aux populations locales !!!
le communisme se conjugue mal avec les régles du star business, ces startlettes essayent de se racheter une bonne conscience (dans la gabegie et le gaspillage quotidiens qu'ils vivent) en essayant de faire semblant de soutenir des causes déséspérées "juste pour la Photo", comme le font les "beckame" et toutes les autres startlettes de Hollywwod !!! qui s'en tapent de la misère du monde !!!