Le Matin DZ 19-08-2011 40518
L’Europe s’inquiétait récemment de la capacité de l’Algérie à honorer ses engagements internationaux en termes d’approvisionnent de gaz face aux événements en Tunisie et Libye (baisse des exportations à travers le Transmed bien avant les sabotages récents du gazoduc en Tunisie), de l’importante consommation intérieure algérienne et du gaz non conventionnels qui bouleversera profondément le paysage énergétique mondial. Cette inquiétude est-elle justifiée ?
Le gaz et la coopération Algérie/Europe
L’Algérie détient 2,37% des réserves mondiales prouvées de gaz naturel, contre pour le pétrole, 1% selon certaines statistiques de janvier 2011, 12 milliards de barils selon la revue financière Gasoil, 1,5 % selon d’autres sources grâce aux techniques de récupération. Pour le gaz, elle se classe à la dixième position. Elle est bien loin de la Russie, classée première, qui détient, pas moins de 25,02% soit 47570 milliards de mètres cubes des réserves mondiales, l'Iran, (15%) le Qatar (10%). Les réserves de gaz naturel qui étaient de 3300 milliards de mètres cubes à la fin de l’année 1990 ont connu une hausse importante dès le début de la décennie 1990 avec les grandes découvertes faites parallèlement à celles du pétrole.
Depuis le début de la décennie 2000, elles ont été consolidées toujours selon la revue internationale Gasoil à 4500 milliards de mètres cubes au 1er janvier 2010 malgré les volumes énormes qui ont été consommées sur le marché national et les volumes exportés depuis 1970. L’Algérie fournit à l’Europe 25/30% de ses besoins en gaz naturel, ce qui représente 70% des exportations algériennes, étant le troisième fournisseur de gaz de l’Europe après la Russie et la Norvège. Et ce à travers tant les GNL que Medgaz et Transmed. Les principaux pays importateurs sont l’Italie, l’Espagne et la France.
A titre de rappel, Medgaz est le troisième gazoduc algérien qui livre le gaz à l'Europe, avec le GME (gazoduc Maghreb-Europe qui transite par le Maroc et le détroit de Gibraltar). On estime à 2 milliards de dollars annuellement les revenus en devises tirés par l’Algérie de Medgaz dans une première phase pour un volume d’exportation de 8 milliards m3 par an contre un coût de 28 milliards de DA en monnaie locale et 148 millions d’euros en devises. Et bien entendu ce montant concerne le chiffre d’affaire et non le profit net de Sonatrach après retrait des charges et si le prix de cession reste au même niveau des négociations de départ, soit 10 dollars le MBTU, ce qui n’est pas évident, dépendant de la durée de la bulle gazière et de la concurrence surtout de la Russie et le Qatar alimentant pour une fraction de leur production le marché spot sans préjuger avec l’embargo le cas de l’Iran.
Un bas prix met en danger la rentabilité financière de ce projet au même titre que celui bien plus important du réseau Trans-méditerranéen (Transmed d’une capacité d’environ 30,2 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an, étant prévu d'étendre cette capacité à 33,5 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an d'ici à 2012 aussi connu sous gazoduc Enrico Mattei) est un pipeline de gaz naturel qui relie l’Algérie via la Tunisie vers l'Italie. Son extension à travers le projet Galsi, d’une longueur de près de 900 km, dont 600 km offshore, doit acheminer le gaz naturel du gisement de gaz d’Hassi R’mel en Algérie vers l’Italie du Nord après avoir traversé la Sardaigne. Les études détaillées du tracé se sont achevées à l’été 2008. Le coût de cet investissement additionnel pour ce du projet est estimé à 2 milliards d’euros au cours de 2011, dont 700 millions pour la section située en amont de la Sardaigne. Le Galsi fait partie des projets de gazoduc pour la réalisation desquels la Commission européenne a débloqué 1,39 milliard d’euros dans le cadre du programme énergétique européen pour la relance. Dans les prévisions, Galsi devait exporter 40 milliards de mètres cubes gazeux en rappelant que les capacités de Transmed ont été augmentées en 2006 de 27 à 33 milliards de m3 par an.
Le Galsi fournira notamment 8 milliards de m3 de gaz par an à l’Italie via la Sardaigne. Il était prévu le raccordement de la Corse au gazoduc reliant l’Algérie à l’Italie (Galsi. Le projet Cyrénée aurait pour objectif d’alimenter la Corse en gaz naturel, à partir du projet de Gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie (Galsi), une canalisation de transport de gaz naturel reliant l’Algérie et la Toscane en Italie, en passant par la Sardaigne. L’alimentation de la Corse, 5 % du volume de gaz, serait prélevé à terme pour l’approvisionnement de l’île pour l’alimentation des deux futures centrales et des agglomérations d’Ajaccio et de Bastia.
Suite au mémorandum d'entente signé, en janvier 2002, entre Sonatrach et la Nigerian National Petroleum Company (NNPC), réunis au Nigeria il avait été signé 3 juillet 2009 un accord pour construire un gazoduc baptisé Trans Saharan de 4 128 kilomètres (dont 2310 km pour le territoire algérien) qui devrait servir à alimenter l'Europe en gaz puisé dans le delta du Niger au sud du Nigeria Avec un coût prévu initialement à 5/6 milliards de dollars puis reporté à 10 milliards de dollars en 2009 il aurait dépassé actuellement les 13/15 milliards de dollars. Ce projet financé pour partie par l’Europe avec la crise d’endettement et le bas prix du gaz est-il rentable sans compter les conflits tribaux dont celui du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger, à l’origine d’importantes interruptions au sein de l’industrie pétrolière.
D’une manière générale, au moment où l’Europe tente de réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis du gaz russe, l’Algérie envisage d’augmenter ses exportations de gaz à 85 milliards de m3 à l’horizon 2015, certaines prévisions du ministère de l’Energie donnant plus de 100 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2020. Est ce que cela sera réalisable ? L’Union européenne et l’Algérie doivent établir un protocole d’accord qui fixe les principes communs qui doivent régir cette coopération énergétique sur un prix juste qui ne pénalise ni les investissements algériens ni les consommateurs européens.
Quelle est la situation actuelle des réserves de gaz en Algérie ?
En dépit d’un redressement de la situation en 2010 – 55,28 milliards de mètres cubes de gaz naturel exportés contre 52,67 milliards de mètres cubes en 2009 – l’Algérie peine toujours à maintenir le niveau des volumes exportés au-dessus de 60 milliards de mètres cubes, un seuil qui était bien conservé entre 2001 et 2008. La production à un rythme rapide des gaz non conventionnels aux USA et en Europe explique en partie cette situation alors que l’Algérie tablait sur des exportations de l’ordre de 85 milliards de mètres cubes pour 2011/2012, ce qui devient une impossibilité pour le moment. Le temps étant de l’argent l’Algérie ne risque-t-elle pas de perdre des parts de marché au profit d’autres concurrents ?
Par ailleurs, le prix du gaz non conventionnel, encore qu’existe un problème de la dégradation de l’environnement, grâce la technique du forage horizontal est actuellement de 4/5 dollars donnant les USA exportateur de gaz horizon 2020, ce qui pourrait freiner l’importation de gaz algérien pour ne pas dire l’annuler. Selon les statistiques internationales, le gaz non conventionnel devrait représenter environ 25% de la production mondiale en 2020. Concernant l’approvisionnement de l’Europe, et cela n’est pas propre à Sonatrach mais également pour le géant russe Gazprom, il faudra tenir compte de la donne polonaise membre de l’Europe des 27 qui pourrait bouleverser la donne énergétique européenne. D’après l’Agence américaine de l’énergie (rapport 2010) la Pologne aurait une réserve de quelque 5300 milliards de mètres cubes de gaz de schiste dans ses sous-sols d’une valeur de 1380 milliards d’euros.
Est-ce que la bulle gazière s’arrêtera horizon 2015 ou au-delà lorsque les contrats à moyen terme de l’Algérie arriveront à expiration, ce qui influencera le niveau d’entrée en devises sachant que le gaz représente plus de 40% des entrées en devises ? Et donc un sérieux problème de financement au-delà de 2014 si l’on maintient le rythme de la dépense publique ou le déficit budgétaire déjà élevé dans la loi de finances 2011 (33,9% du PIB) dépassera les 40% selon la loi de finances prévisionnelle 2012 ?
Comme se pose le problème si ce prix bas du gaz non conventionnel sur le marché libre est tenable à terme, il doit fluctuer pour une extension de l’investissement dans ce segment selon les experts entre 8 ou 9 dollars. Selon le dernier rapport du FMI (2011), il y aurait eu pour l’Algérie une baisse de 10% des exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) en 2010. Le gazoduc Medgaz, opérationnel depuis le début de l’année en cours, ne pourra compenser de sitôt les pertes sur le marché américain compte tenu des craintes qui pèsent sur la reprise des européennes et notamment les économies espagnole et italienne.
L’Algérie pourrait devenir importatrice en 2020
Le risque face à la déconnexion du prix du gaz par rapport à celui du pétrole est que l’Algérie accélère l’épuisement de ses réserves de pétrole. Dans la Revue statistique sur l’énergie dans le monde datée de juin 2004 de British Petroleum, le groupe anglo-américain réputé pour ses analyses et ses données chiffrées sur le secteur indique que la durée de vie des réserves pétrolières de l’Algérie serait de 16 /18 ans. De façon plus précise, pour cette revue, les réserves prouvées de brut du pays auraient été en 2004, de 11,3 milliards de barils, soit environ 1,6 milliard de tonnes, représentant 1% des réserves mondiales. L’Algérie ayant produit en 2004 pour 1,8 million de barils/ jour de liquides, rapportée au niveau d’extraction du pays, la durée des réserves serait selon cette source de 16 ans, donc reste à la date de 2011 environ 10 ans. Cela pose un vrai problème : entre-temps, y a-t-il eu des découvertes significatives ou de réévaluations à la hausse des accumulations de brut dans les gisements ? Dans le cas contraire, l’Algérie sera un importateur net de pétrole à partir de 2020.
Concernant le gaz, du fait du bas prix de cession au niveau du marché intérieur, et du programme du gouvernement d’aller vers plus de 90% d’utilisation du gaz dans les foyers, et des projets prévus, selon le rapport de la CREG, la demande globale intérieure en gaz atteindra 62,96 milliards de m3, soit un rythme d’évolution annuel moyen de 11,3% entre 2008 et 2013 et de 6,7% entre 2013 et 2018. Pour l’hypothèse moyenne, cela approche 50 milliards de mètres cubes gazeux.
La crainte pèse sur la capacité de l’Algérie à honorer ses engagements gaziers envers l’étranger en raison de l’augmentation de sa consommation interne d’ici à 2018. Les économies d’énergie supposant une politique des prix plus rationnelle et le développement de sources alternatives d’énergie (le solaire) pour les besoins du marché national permettrait d’alléger la pression de la demande sur l’offre de gaz et donc pour l’Algérie d’honorer ses engagements internationaux. Concernant le calcul de la durée de vie des réserves de gaz, il y a lieu de préciser que pour l’Algérie, selon mes calculs, la rentabilité des installations de Medgaz et Galsi nécessite un prix de cession entre 9/10 dollars et pour le GNL 14/15 dollars. Le calcul des réserves et quel que soit le pays est fonction de l’évolution de la concurrence des énergies substituables, du coût et du prix international et non de découvertes de gisements physiques qui peuvent être non rentables. Ne pouvant pas compresser la demande intérieure en deçà de 50 milliards de mètres cubes gazeux entre 2011/2020, au risque de freiner le développement, compte tenu des exportations prévues et de la consommation intérieure (scénario moyen du CREG) , plus de 85 milliards de mètres cubes d’exportation soit une production totale de 135 milliards de mètres cubes gazeux et presque 150 pour l’hypothèse forte du CREG, 10/15% des gisements marginaux selon les experts gaziers étant à soustraire car non rentables. Dans l’hypothèse d’un prix fixe de 14/15 dollar le MBTU pour le GNL et selon les scénarios variables pour la cession du prix du gaz par canalisation nous aurons les prévisions suivantes :- prix du gaz 9/10 dollars le million de BTU par canalisation : 25 années de réserves ; - prix du gaz 4/5 dollars : entre 15/16 ans de durée de vie des réserves ; - en cas d’un prix supérieur à 15 dollars : la durée serait supérieure à 30 ans, les gisements marginaux devenant alors rentables.
La durée de vie des réserves sera moins longue si les prévisions du ministère de l’Energie d’exporter plus de 100 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2020 se réalisent et si la consommation intérieure est plus importante que prévue du fait du bas prix de cession du gaz.
Les perspectives de production du gaz
Il est entendu que la demande extérieure des hydrocarbures pour l’Algérie d’une manière générale sera fonction d’une reprise ou pas de l’économie mondiale et de l’évolution du cours du dollar. Cependant, il faut éviter la sinistrose, 25 ans étant la moyenne maximale et c’est déjà appréciable tout en étant conscient, à moins d’un miracle, l’Algérie n’ayant pas découvert de gisements substantiels de gaz entre 2000/2011 mais des gisements marginaux, ce qui se pose le problème du coût élevé de l’extraction. Selon le gouvernement, la production de gaz naturel de l’Algérie, qui a connu en 2010 un recul de 2,4 % par rapport à 2009, devrait croître nettement d’ici à 2014.
Les exportations peuvent en effet être renforcées par la mise en production de nouveaux gisements qui devraient renforcer les capacités de production de gaz naturel de près de 25 milliards de mètres cubes d’ici à 2014 ce qui nous donnerait 80 milliards de mètres cubes gazeux pour 2014. En résumé, l’Algérie exporte 98% en hydrocarbures brut et semi brut et important 75% des besoins des entreprises et des ménages. Surtout qu’actuellement avec la crise mondiale un débat national pose la problématique du rendement des placements dans des banques centrales occidentales, asiatiques et même au niveau de certains pays du Golfe, soit 80% des réserves de change estimées à 162 milliards de dollars au 1er janvier 2011 selon la Banque d’Algérie et à 173 milliards de dollars fin juillet 2011 selon les statistiques internationales, résultante des exportations des hydrocarbures à des rendements faibles voire nuls ?
Donc tout débat sur les réserves de change en Algérie renvoie au débat sur la rente des hydrocarbures, car pourquoi continuer à épuiser cette ressource éphémère pour les placer ensuite à l’étranger ? Aussi, un débat objectif ne peut dissocier l’analyse des rendements des réserves de change des réserves d’hydrocarbures, puisque provenant de cette sphère, ainsi que de la stratégie future du développement au sein d’un espace de plus en plus mondialisé, afin de transformer cette richesse virtuelle en richesse réelle. L’objectif stratégique pour l’Algérie est la transition rapide d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures supposant une gouvernance renouvelée, la valorisation de l’entreprise et son support la ressource humaine (le savoir et combien de cadres valables algériens marginalisés se sont expatriés), richesse bien plus importante que toutes les ressources des hydrocarbures. Une nation sans son élite est comme un corps vidé de son sang.
Abderrahmane Mebtoul, expert international