Le Matin 06-02-2017 36559
L’attentat contre la mosquée de Ste-Foy au Québec a fait 6 morts dimanche 29 janvier 2017. Parmi eux figurent deux Kabyles Abdelkrim Hassane et Khaled Belkacemi, laissant chacun une veuve et plusieurs enfants orphelins.
Deux funérailles nationales ont été organisées respectivement à Montréal, le jeudi 02 février, et dans la ville de Québec le lendemain. De nombreux dignitaires ont marqué leur présence dont le premier ministre canadien Justin Trudeau, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, le maire de Montréal Denis Coderre et le maire de la ville de Québec, Régis Labeaume.
Le maire de Montréal a offert pour la circonstance l'Aréna Maurice-Richard qui a accueilli des milliers de personnes pour les funérailles des trois victimes Abdelkrim Hassane, Khaled Belkacemi et Aboubaker Thabti (Tunisien). Le maire de la ville de Québec a mis le Centre des congrès de Québec à la disposition des milliers d’autres personnes pour se recueillir sur les trois autres victimes, un Marocain et deux Guinéens.
La cérémonie funéraire de Montréal, à laquelle j’ai assisté, était supposée se dérouler sous le thème de l'unité, de la solidarité et de l'harmonie. Elle ne l’a malheureusement pas été. C’était plutôt une occasion ratée pour se rassembler dans l'amour de son prochain et non dans la division puisque ni les familles des deux victimes kabyles, ni la communauté kabyle nombreuse au Canada et plus particulièrement au Québec, n’ont pas été consultées ou associées à l’organisation de la cérémonie funéraire pour apporter leur touche dans la façon d’organiser la tradition funéraire ancestral kabyle. C’est ce qu’a exprimé avec une forte consternation madame Zahra Boukersi, cousine de la veuve Louisa Mohand Said, épouse du défunt Abdelkrim Hassane dans un message vidéo qui circule sur internet.
A qui incombe l’exclusion de la donne kabyle de la cérémonie ?
Les uns portent une part de responsabilité au consul d’Algérie, alors que d’autres chargent les seuls islamistes bien organisés autour de divers organismes et associations. Une troisième lecture parle d’une entente tacite entre le consul d’Algérie à Montréal et les islamistes de cette ville à travers la mise de deux drapeaux algériens sur les cercueils des deux victimes kabyles. Ce qui a mis dans la gêne le consulat de Tunisie en faisant de même.
Cette histoire de drapeaux que beaucoup prennent à la légère a mis dans la gêne:
D’abord l’une des deux familles des victimes kabyles qui a insisté sur le fait de considérer aussi le drapeau amazigh au cas où le drapeau algérien sera mis.
Ensuite le Premier ministre canadien qui s’est recueilli devant les trois cercueils enveloppés de drapeaux étrangers, et non pas canadiens. Protocolairement parlant, ça ne devrait pas être le cas. Le Canada n’est-il pas le pays d’accueil, qui a offert du travail, une bonne qualité de vie et la citoyenneté aux victimes en question, qui ont depuis longtemps quitté l’Algérie très instable et non sécure?
Les consulats du Maroc et de Guinée ont été diplomatiques et très respectueux des protocoles en ne mettant aucun drapeau sur les trois autres cercueils exposés au centre des congrès de Québec le vendredi 3 février 2017.
La Tunisie a intelligemment rectifié sa bourde en mettant les deux drapeaux canadien et tunisien sur le cercueil du défunt Aboubaker Thabti, une fois arrivé en terre tunisienne le samedi 4 février. Ce qui n’a pas été le cas avec les autorités algériennes, qui ont non seulement persisté avec le drapeau algérien une fois les dépouilles mortuaires de Abdelkrim Hassane et Khaled Belkacemi arrivés à l’aéroport d’Alger, mais ils ont changé les cercueils pour une raison que tout le monde ignore.
L'oraison funèbre en kabyle exclue de la cérémonie au Canada
Un autre détail qui intrigue est, d’après A. M. Said, membre de la famille d’une des deux victimes kabyles, l’absence de l’ambassadeur d’Algérie aussi bien à la cérémonie funéraire de Montréal qu’à l’aéroport Pierre Elliot Trudeau au moment du départ des deux dépouilles vers Alger. A se demander pourquoi sachant que l’ambassadeur de Guinée était présent à Montréal bien que les dépouilles des deux victimes guinéennes étaient restées à Québec. C’est tout de même bizarre la présence de deux drapeaux algériens sans aucune apparition de l’ambassadeur d’Algérie.
Ayant compris le manège des manipulations idéologiques et politiques délibérément orchestrées en arrière-plan lors de la tragédie qui a frappé les deux malheureuses familles kabyles et en guise d’anticipation j’ai interpellé les consciences des uns et des autres sur l’importance d’introduire une dose de Kabylité, et à plus grande échelle l’amazighité, lors de la cérémonie funéraire nationale.
J’ai pris ainsi le risque de ne pas être compris en attirant l’attention des membres proches des familles en plein deuil, pour considérer la kabylité/amazighité, des deux victimes durant la cérémonie nationale organisée par les plus hautes autorités, à la fois canadienne, québecoise, la mairie de Montréal et celle de la ville de Québec.
J’ai expliqué aux uns et aux autres que "la kabylité/amazighité pourrait être symbolique à travers un drapeau amazigh et encore mieux de façon plus prononcée à travers une oraison funèbre en Kabyle". La femme du regretté Hassane Abdelkrim, la famille de son oncle A. Mohand Said, le frère de la victime Kader Hassane venu spécialement de France, étaient d’accord.
Étant présent dans les coulisses de l’aréna Maurice Richard le jour des funérailles de Montréal, j’ai vu comment les organisateurs autoproclamés du protocole funéraire auprès des autorités canadiennes et québécoises, tous des islamistes, ont pris panique à l’idée d’inclure l’oraison funèbre en kabyle et/ou du drapeau amazigh que j’ai ramené avec moi.
Ils se sont mis de connivence avec quelques membres d’une des deux familles kabyles, qui sont algérois et islamistes, pour m’exclure. Non seulement, mais aussi en m’enlevant violemment le badge que les membres de l’autre famille m’ont collé sur ma veste pour faire partie du protocole familial afin de prononcer l’oraison funèbre en kabyle. L’un de ces membres qui m’a arraché le badge, m’a dit devant des témoins ceci : "Ne profites pas de ce deuil pour faire de la politique". C’est ainsi que je lui ai répondu : "Ainsi d’après toi, faire des oraisons funèbres en arabe, français et anglais, qui ne sont pas la langue maternelle des deux victimes kabyles, n’est pas politique ?".
L'Arena Maurice-Richard transformé en tribune islamiste
Aussitôt j’ai interpellé l’imam égyptien désigné pour la circonstance en lui rappelant le versant coranique 22 du chapitre Rome, que voici : "Et parmi ses signes la création des cieux et de la terre et la variété de vos LANGUES et de vos couleurs. Il y a en cela des preuves pour les savants". L’imam m’a orienté vers un certain Tunisien Merouane, apparemment membre de l’association des musulmans du Canada, désigné comme responsable du protocole et du programme de la cérémonie funéraire. Après quelques dificultés, je l'ai trouvé, je lui ai expliqué la situation et il m'a répondu avec cette phrase : "Je te reviens !". Puis il disparaît. Je suis parti à nouveau à sa recherche. A deux reprises, Merouane n’a fait que m’éviter sous prétexte qu’il était débordé et qu’il n’avait pas le temps !!! La vérité amère que j'ai su plus tard est la suivante : il a été approché par les Algérois kabyles susmentionnés pour ne pas prendre en considération ma doléance. Je me suis alors dirigé vers A. M. Said, l’oncle de la veuve Louisa Muhand Said pour lui expliquer la situation. Sur quoi il est allé voir le maire Denis Coderre, qui a offert l’aréna Maurice-Richard transformé en une tribune islamiste le temps de la cérémonie funéraire. Le maire de Montréal a fait ce qu’il a pu mais il a buté lui aussi sur l’intransigeance du protocole islamiste autoproclamé de ne pas intégrer l’oraison funèbre en kabyle, la langue maternelle des deux défunts Abdelkarim Hassane et Khaled Belkacemi.
Cette oraison que j’ai pourtant soigneusement préparée en puisant du rituel ancestral kabyle avec quelques expressions en relation avec la religion pour respecter la foi musulmane des deux victimes kabyles la voici avec la traduction en français en bas du texte :
"Mas aneɣlaf amezwaru n Canada Justin Trudeau,
Mas aneɣlaf amezwaru n Québec Philipe Couillard,
Mas aselway n tɣiwant n Montréal Denis Coderre,
Mas aselway n tɣiwant n Québec Régis Labeaume,
Akken ma tellam dagi deg tzeqqa Maurice Richard,
Azul fell-awen u tazalit d talwit i yinselmen yellan gar-awen.
Ass-a iqbayliyen n Canada, tametti taqbaylit s umata teqqim d tagujilt s sin n warraw-is, yellan ger 6 yettwanɣen deg txazabit i yeḍran deg Kibik ass n lḥed 29 yennayer.
Iman-nsen, neɣ tarwiḥt-nsen, truḥ sanda akk a nruḥ, acku lmut terğay-aɣ akken ma nella. Ulac win a tezgel.
Sin n yiqbayliyen-agi, am 4 nniḍen ger wid yemmuten deg wammas adelsan ineslem n Kibik neɣ le Centre Culturel islamique de Québec, ğğan-d tuǧǧal d yigujilen, zzan tassa nneɣ u jerḥen ulawan nneɣ nekkni s yiqbayliyen, s imaziɣen, s yikanadiyen, s yikibikiyen.
Tura acu ilaqen ad nexdem i waken annect-a ur d-iḍerru ara isya d assawen?
Yal yiwen deg-neɣ ilaq ad iẓẓu tayri, ad yesbaad lkaruh seg ulawen, akken arraw-nneɣ ad sen-d-neǧǧ timetti n talwit d tayri. Ama di twennaḍt n Québec neɣ di tmurt nneɣ Canada.
Canada i yettwasnen deg umaḍal d tamurt n talwit. D tamurt i yeǧǧan yal yiwen deg nneɣ ad yidir deg talwit, s wansayen-is, s tutlayt-is, s tmagit-is s daxel n wansayen n tugdut, d tlelli akked izerfan n yimdanen i yes-tettwasen tamurt nneɣ aεzizen Canada.
Tanemmirt-nwen“.
Voilà une occasion ratée pour nous rendre visible vis-à-vis de ces dizaines de caméeras du monde présentes pour donner une visibilité à notre chere langue ?
Une telle visibilité a été empêchée par la bétise et la haine de soi de certains kabyles, qui se disaient membres de la famille de l’une des victimes, qui considèrent que parler de la langue kabyle ou du drapeau amazigh est synonyme de faire de la politique.
Sachant que toute la cérémonie, gérée apparemment par la mosquée Badr, est politique. Ce qui a fait dire à un jeune Kabyle de Bgayet H. M., très lucide, rencontré à l’aréna Maurice-Richard, que cette cérémonie pue trop l’intégrisme tellement transformée en un meeting politique, me rappelant la salle Harcha d’Alger au début des années 90, avec Ali Belhadj, ex-membre fondateur du parti politique algérien Front Islamique du salut comme orateur. Très déçu, il poursuit : "Les officiels politiques canadiens ont démontré une complicité politique en hypothéquant les valeurs de leur société pour des voix électorales. Tous les orateurs ont parlé à nos deux morts et à leurs familles avec des langues sauf leur langue maternelle. Ces gens ont attribué une ethnie, une culture, des rites imaginaires qui ne relèvent pas des leurs. Dans tous les cas, c'est un meeting pour un partenariat politique, signé avec le sang des deux victimes".
Mais en même temps cette déception pourrait être une occasion aux membres de notre communauté pour réflichir à une organisation kabyle ou amazighe représentative au Canada incluant toutes les structures existantes comme les associations, centres, forums, fondations, .... Le but est de parler d’une seule voix sans tenir compte des divergences politiques et idéologiques quand il s’agit des questions d’intérêt commun comme la gestion funéraire d'un tragique évènement comme celui qui vient de se passer, et qui a touché deux victimes, nés et vécus kabyles mais morts avec un rituel non kabyle.
Traduction de l'oraison funèbre kabyle interdite par les islamistes
"Monsieur le premier ministre du Canada Justin Trudeau,
Monsieur le premier ministre du Québec Philipe Couillard,
Monsieur le maire du Montréal Denis Coderre,
Monsieur le maire du Québec Régis Labeaume,
Vous tous qui êtes ici dans l’aréna Maurice Richard,
Salut tout le monde et prière et paix aux musulmans ici présents.
Aujourd’hui les Kabyles du Canada et la société kabyle en générale est orphéline de deux de ses fils, qui ont perdus la vie, parmi les 6 autres victimes de la tuerie du Québec du dimanche 29 janvier.
Leurs âmes sont parties là ou les notres vont partir puisque la mort nous attend tous, et personne n’y échappe.
Ces deux Kabyles, comme les quatre autres victimes tuées au Centre Culturel islamique de Québec, ont laissé des veuves et des orphelins, ont brisé nos cœurs, nous les Kabyles, les Imazighens (Berbères), Canadiens et Québecois.
Que doit-on faire pour que ce genre de folie n’arrive plus jamais à l’avenir ?
La réponse est que chacun de nous doit semer l’amour et éloigne la haine des cœurs, pour qu’à nos enfants, on leur legs une société de paix et d’amour. Que ce soit dans la province du Québec ou dans notre pays, le Canada.
Le Canada qui est connu au monde comme étant un pays de paix. Un pays qui a donné à chacun de nous une opportunité de vivre en paix avec ses coutumes, sa langue et son identité tout en intégrant les traditions de démocratie, de paix et des droits de la personne humaine qui caractérisent notre chère pays, le Canada.
Merci à vous tous."
Racid At Ali uQasi
Vidéo