Le Moudjahid Mohamed Moulay, l'homme au poignard de Le Pen, est mort

Le Matin 08-05-2014 29355

Le Moudjahid Mohamed Moulay, l'homme au poignard de Le Pen, est mort
Mohamed Moulay

S'il y a une personne qui ne pleurera pas sa disparition, c'est bien Jean-Marie Le Pen... "L'enfant au poignard", c'était lui. Mohamed Moulay est mort, samedi 28 avril, à Alger, d'une embolie pulmonaire. Il avait 67 ans.

Son histoire parait dans Le Monde du samedi 4 mai 2002, à la veille du second tour de l'élection présidentielle. Jean-Marie Le Pen a évincé Lionel Jospin au premier tour et se retrouve en compétition avec Jacques Chirac. Si Mohamed Moulay a accepté de se confier au Monde, c'est parce que "la situation est grave, dit-il. Un homme qui a les mains pleines de sang prétend entrer à L'Elysée."

Un grand homme

Ni lui ni sa famille n'espèrent quoi que ce soit : "Nous n'attendons ni publicité ni argent. Je m'étais mis en retrait de la guerre d'Algérie depuis longtemps, mais nous sommes capables, nous aussi en Algérie, d'avoir un sursaut devant ce qui se passe en France", tient-il à préciser.

Mohamed Moulay a perdu son père le 3 mars 1957. Dans la nuit, une patrouille d'une vingtaine de parachutistes conduite, selon les témoins, par un homme grand, fort et blond, que ses hommes appellent "mon lieutenant" et qui se révèlera plus tard être Jean-Marie Le Pen, fait irruption au domicile des Moulay, un petit palais de la Casbah d'Alger. Ahmed Moulay, le père, 42 ans, va être soumis à la "question" sous les yeux de ses six enfants et de sa jeune femme.

Supplice de l'eau, torture à l'électricité... Le calvaire va durer plusieurs heures. C'est l'ère de "la torture à domicile" mise en œuvre par l'armée française pendant la "bataille d'Alger". Ahmed Moulay refuse de donner les noms de son réseau du FLN. Il va en mourir.

Pièce à conviction pour procès perdu

Quand Le Pen quitte le domicile des Moulay, à l'aube, laissant derrière lui un cadavre, il oublie sur place un poignard. L'un des jeunes fils du supplicié, Mohamed, 12 ans à l'époque, le trouve et le cache dans le placard du compteur électrique, "sans bien savoir pourquoi". Le lendemain et le surlendemain, Jean-Marie Le Pen et ses hommes reviennent et mettent la maison à sac pour retrouver le poignard. En vain. L'enfant se tait.

Devenu adulte, Mohamed Moulay gardera l'arme chez lui, pendant quarante ans. Le poignard arrivera en France, début 2003, dans la valise de l'envoyée spéciale du Monde à Alger. Il servira de pièce à conviction dans le procès que le leader du Front national a intenté au journal pour "diffamation".

Jean-Marie Le Pen perdra ce procès. Il perdra également son appel et verra son pourvoi en cassation rejeté. Le poignard se trouve toujours à Paris, dans le coffre-fort de l'avocat du Monde, Yves Baudelot. Il va repartir en Algérie d'un mois à l'autre pour rejoindre le musée des moudjahidine. C'était le vœu de Mohamed Moulay. Il s'agit d'un couteau des Jeunesses hitlériennes, fabriqué dans la Ruhr dans les années 1930. Sur le fourreau, on peut lire distinctement : J.M. Le Pen, 1er REP.

En dépit des circonstances de la mort de son père, qui l'avaient traumatisé à vie, Mohamed Moulay avait toujours gardé une immense affection pour la France, comme ses deux oncles, Ali et Rachid Bahriz, eux aussi affreusement torturés pendant la guerre d'Algérie. Au lendemain de cette fameuse nuit du 3 mars 1957, Mohamed Moulay avait arrêté l'école pour prendre le maquis jusqu'à l'indépendance de son pays, en 1962, ce qui allait faire de lui le plus jeune moudjahidine.

Une fois revenu à la vie civile, il était entré à la Sonelgaz, à Alger, mais ses activités de syndicaliste l'avaient emporté sur son emploi de cadre. Intègre, désintéressé et courageux, Mohamed Moulay avait une mémoire exceptionnelle, ce qui faisait de lui l'un des témoins les plus fiables de la guerre d'Algérie. Marié à une française d'origine algérienne, il a eu cinq enfants, aujourd'hui tous installés dans le sud de la France, comme leur mère.

Lui était resté à Alger, y compris après sa retraite de la Sonelgaz. "J'aime trop l'Algérie pour pouvoir la quitter", disait-il en souriant, tout en ne cachant pas sa tristesse de voir ce qu'était devenu son pays, si loin de ses rêves de jeune combattant indépendantiste.

Florence Beaugé pour Le Monde

(*) Le titre a été partiellement changé par la rédaction

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